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En Ukraine, l'exploitation des minerais et terres rares au cœur des négociations entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky
Washington veut conditionner l'aide militaire apportée à Kiev à l'obtention de contrats d'exploitation des ressources naturelles ukrainiennes. Le président ukrainien n'a rien contre. Mais il a refusé de signer la première version d'un accord, car il ne voyait "pas encore" de garantie dans ce document.
Pour Donald Trump, il est toujours question de business, même en politique. Le président américain a réitéré son intention d'exploiter les terres rares ukrainiennes, lundi 10 février, sur Fox News(Nouvelle fenêtre). Il entend ainsi "récupérer l'argent" versé à l'Ukraine depuis le début de l'invasion du pays par la Russie. "Au moins, comme ça, on ne se sent pas idiot", a-t-il argué. Depuis le début de la guerre, fin février 2022, les Etats-Unis ont fourni pour 65,9 milliards de dollars d'aide militaire à l'Ukraine, selon le gouvernement américain(Nouvelle fenêtre). Sans compter les aides directes au budget ukrainien, ou les garanties de prêts.
Le dirigeant américain réclame maintenant à Kiev en guise de contrepartie la bagatelle de 500 milliards de dollars de "terres rares", des métaux notamment utilisés dans l'industrie électronique. Pour les exploiter, "nous investirons des centaines de milliards de dollars" en Ukraine, a-t-il encore précisé. L'expression de "terres rares" fait référence à dix-sept éléments difficiles à extraire – mais pas si rares, paradoxalement – parmi lesquels on trouve l'erbium, le scandium ou l'ytterbium. Ces éléments chimiques possèdent notamment des propriétés magnétiques utilisées dans les aimants, les pots catalytiques des voitures, les appareils médicaux et les alliages métallurgiques de l'industrie aéronautique ou le militaire.
"Au total, 68% des terres rares sont extraites en Chine", explique à franceinfo Volodymyr Landa, économiste au Centre de stratégie économique de Kiev. "L'Ukraine en possède une quantité infime, inférieure à 1% du volume global mondial. Il n'existe pas de mine dédiée, et ces terres rares sont des sous-produits de l'extraction." Il n'est pas donc certain que Donald Trump ait en tête ces seuls matériaux. Le dirigeant américain évoque plus probablement des métaux rares, comme le nickel ou le cobalt, aux gisements bien identifiés, mais aussi le graphite, le lithium, le béryllium ou encore l'uranium.
Kiev vante ses gisements depuis des mois
Par ailleurs, "le titane est déjà exploité en Ukraine, avec deux grandes mines en activité qui appartenaient à l'Etat", ajoute Volodymyr Landa. La société UMCC Titanium a été privatisée l'an passé, en pleine guerre, et acquise par une filiale d'un groupe azéri pour 3,9 milliards de hryvnias, soit 89,9 millions d'euros. "Il existe également l'usine de titane et de manganèse de Zaporijjia qui ne fonctionne presque pas, faute de titane, poursuit l'expert. L'Ukraine possède également du lithium et doit accélérer sur ce dossier. Je ne suis pas certain que la demande [pour ces matières premières] soit aussi importante dans cinquante ans, et nous avons besoin aujourd'hui de ce levier de développement économique."
Volodymyr Zelensky avait lui-même exposé cette idée d'investir dans l'exploitation minière ukrainienne à celui qui n'était encore que le candidat républicain à l'élection présidentielle, lors de leur rencontre à New York, en septembre 2024. Un mois plus tard, des partenariats économiques étaient évoqués noir sur blanc dans le "plan pour la victoire" dévoilé par la présidence ukrainienne(Nouvelle fenêtre). Etaient évoqués des gisements "valant des milliards de dollars" qualifiés "d'opportunité de croissance", alors que le pays devra également financer sa future reconstruction. Ce point était complété par une annexe secrète, réservée aux seuls alliés.
Quand Donald Trump a évoqué ces gisements, au début du mois, le chancelier allemand Olaf Scholz a d'abord qualifié cette proposition d'"égoïste et égocentrique". Mais les déclarations tonitruantes du nouveau président américain ont été bien accueillies à Kiev. Interrogé par le Guardian (Nouvelle fenêtre), mardi, Volodymyr Zelensky a promis de livrer un "plan plus détaillé" sur les futures opportunités accordées aux investisseurs. Le but est d'obtenir le maintien de l'aide militaire américaine, qui sera désormais placée sous le haut patronage des affaires. "Pour nous, cela créera des emplois. Pour les entreprises américaines, cela créera des profits", résumait le dirigeant ukrainien, réclamant que la chaîne de production soit installée sur le territoire, au moins en partie.
Kiev a donc su capter l'attention du locataire de la Maison Blanche. Le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, s'est déjà rendu en Ukraine, où un projet de partenariat sur les ressources minières stratégiques ukrainienne lui a été remis. "Les Américains devraient-ils présenter une liste de souhaits à l'Ukraine ? L'Ukraine doit-elle présenter une liste d'opportunités à saisir ? Les deux, je pense, envisage Volodymyr Landa. En tout cas, cela permettrait de définir de quelles ressources on parle et d'envisager les montants potentiels." Le "deal" n'est toutefois pas encore conclu. Volodymyr Zelensky a annoncé samedi avoir refusé de signer l'accord(Nouvelle fenêtre), estimant qu'il ne "protège pas" à ce stade son pays. Un tel projet devrait comporter "des garanties de sécurité", juge le président ukrainien, qui ne voit "pas encore cette connexion dans le document".
Entre Kiev et Washington, des discussions sont en réalité amorcées depuis longtemps. L'année dernière, l'administration de Joe Biden avait déjà préparé un protocole d'accord pour encourager les entreprises américaines à investir dans des projets miniers ukrainiens, explique la chaîne CNN(Nouvelle fenêtre). Par ailleurs, un groupe de travail ukrainien planche depuis dix-huit mois sur la question, avec des représentants gouvernementaux et de la Kiyv School of Economics(Nouvelle fenêtre). Une trentaine de projets portant sur des matériaux critiques attendent toujours des investisseurs, selon le service géologique d'Etat(Nouvelle fenêtre), et une centaine de sites pourraient prochainement être ouverts à des exploitations partagées entre investisseurs ukrainiens et internationaux.
A l'été 2024, le gouvernement ukrainien vantait lui-même la richesse de son sous-sol, précisant qu'il recelait 22 des 50 matériaux identifiés comme "stratégiques" (Nouvelle fenêtre)par les Etats-Unis, et 25 des 34 éléments inclus dans la liste de l'Union européenne(Nouvelle fenêtre) des matériaux d'importance "stratégique" ou "critique". Comme un appel du pied, le ministère des Ressources naturelles ukrainien faisait même figurer sur sa plaquette le logo du groupe américain Tesla, propriété du milliardaire Elon Musk, comme "potentiel investisseur" dans le lithium et le graphite.
La balle est dans le camp des investisseurs américains, alors que Washington cherche à diversifier ses importations, qui dépendent trop largement de Pékin. Un partenaire capricieux, surtout au moment où les deux capitales se livrent une guerre commerciale sous l'impulsion de Donald Trump. A la fin de l'année dernière, la Chine a notamment annoncé la fin des exportations de gallium, de germanium et d'antimoine à destination des Etats-Unis.
L'été dernier, le groupe américain Critical Metals avait investi plus de 200 millions d'euros au Groenland dans le projet Tanbreez, afin d'extraire du lithium, du béryllium, du titane, du zirconium, du palladium ou encore de l'uranium… Mais l'Ukraine, elle, peine encore et toujours à attirer les investisseurs internationaux. "Le climat des affaires est un vrai problème, et cela remonte avant la guerre, à l'époque du président Viktor Ianoukovitch et de la corruption généralisée, observe Volodymyr Landa. Malgré les nets progrès des dernières années, l'index de perception de la corruption reste plus élevé qu'en Europe de l'Ouest."
Des discussions sont néanmoins menées avec tous les partenaires occidentaux, et pas seulement américains. De manière générale, relève d'ailleurs Volodymyr Landa, "les agences françaises de développement ne sont pas aussi actives qu'elles pourraient l'être, comparées à celles des puissances économiques comparables, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne." Le 4 février, l'organisme géologique d'Etat ukrainien a participé à une réunion de travail en visioconférence(Nouvelle fenêtre) avec des partenaires français. Parmi eux : Didier Le Moine, délégué interministériel adjoint aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, et Catherine Bonin, directrice des activités commerciales au Bureau de recherches géologiques et minières.