Avec Babylon, Damien Chazelle livre son métrage le plus fou et libéré (et sans doute son meilleur depuis Whiplash).
Quelque part entre le Satyricon de Fellini, Barton Fink des Coen, Once Upon a Time in Hollywood et Le Loup de Wall Street, Chazelle nous invite dans un maelstrom ébouriffant de 3h en nous faisant suivre 3 protagonistes : Manny (Diego Calva), homme à tout-faire d'origine hispanique aspirant à devenir cinéaste ; Nellie LaRoy (Margot Robbie) une comédienne au passif roturier se voyant déjà comme une star de cinéma ; et Jack Conard (Brad Pitt), une célébrité du cinéma muet basée sur John Gilbert.
En évoluant entre le destin croisé de ses 3 personnages (mais aussi quelques autres comme Jovan Adepo en prodige afro-américain de la trompette ou bien Li Jun Li en chanteuse de cabaret), Babylon dresse un grand portrait de la naissance de l'industrie Hollywoodienne ainsi que le passage du muet au parlant. Il y a un soupçon de Singin in the Rain (le film est même directement cité) dans cette histoire, mais finalement tout se télescope pour étendre son propos à l'ensemble du cinéma, où comment dans le plus grand chaos la beauté peut naître, quelle est la place des comédiens, ceux dans l'ombre (critiques et public) ainsi que ses diverses renaissances.
Débutant dans une scène orgiaque d'une demi-heure complètement folle, où fientes d'éléphant, golden shower, seins cocaïnés et plans-séquences virtuoses conjuguent pour ouvrir le film, Babylon nous embrasse ensuite complètement son sujet dans une longue séquence de multi-tournage où la magie originelle du 7e Art y est presque disséquée...avant une dernière partie plus désenchantée où on découvre mieux l'intimité des protagonistes tout en voyant l'envers sombre du rêve pailleté.
On pourrait sans doute en parler des heures, mais Babylon porte bien son titre. Furieux, débridé et jubilatoire (tout en étant extrêmement drôle), Chazelle lâche complètement les vannes mais toujours dans une architecture narrative très structurée et cohérente.
Un portrait à la fois flatteur mais aussi désenchanté des origines du cinéma, où le havre initial (mais aussi sans réglementations tel un Far West créatif) laisse progressivement place à une culture de l'assimilation (en ce sens on est pas si éloigné du Bamboozled de Spike Lee qui abordait le même sujet) où les minorités et la classe ouvrière n'a presque plus le droit de faire partie de l'usine à rêves.
Les acteurs sont tous fabuleux (la révélation Diego Calva, Jean Smart et Tobey Maguire dans deux séquences fortes) comme Brad Pitt dans un de ses meilleurs rôles récents, ou bien tout simplement la performance incandescente de Margot Robbie (la plus impressionnante de sa carrière). Mais les stars sont Chazelle, son ami-compositeur Justin Hurwitz (qui aura son 2nd Oscar amplement mérité) avec ses mélodies jazzy entrainantes, et son chef-opérateur Linus Sandgren nous gratifiant de vrais bijoux scéniques à la chorégraphie sans accroc.
S'il n'est peut-être pas aussi bouleversant que prévu sur sa fin douce-amère, Babylonse conclue par un beau moment de bravoure au montage impeccable, célébrant avant tout les avancées du 7e Art, malgré ses heurts réguliers.
Un grand film
4,5/5