Le Centre de Visionnage : Films et débats

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B-Lyndon
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Skipper Mike a écrit :
mar. 29 nov. 2022 23:44
B-Lyndon a écrit :
mar. 29 nov. 2022 22:05
Moralement, une séquence me gène : la plaidoirie finale, avec les visages féminins émus aux larmes. Je ne dis pas que la sororité ne peut exister, mais filmée comme cela, qui plus est dans une scène de procès, ce n'est pas un peu douteux ? Surtout les yeux mouillés de la juge...ça, franchement, c'est pas possible....trop facile... :sarcastic:
Si l'on en croit l'interview dans le fascicule distribué dans les cinés, il s'agit des vraies réactions des actrices, pas quelque chose de prémédité.
:lol: j'avais oublié qu'un film atterrissait dans les salles de cinéma directement après son tournage !
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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asketoner
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B-Lyndon a écrit :
mar. 29 nov. 2022 22:05
Ilan a écrit :
mar. 29 nov. 2022 00:01

Ca tient probablement à un effet de mise en scène.
L'accusée a la parole. La défense a la parole. Les spectateurs du procès ont la parole aussi. Il n'y en a qu'un qui n'a pas vraiment la parole: le procureur.
Chaque fois qu'il parle, soit il est interrompu par un effet de montage, soit le son baisse, soit un plan montre à quel point ses mots sont ressentis comme une violence par l'assistance. Il est pourtant un élément essentiel du procès, mais la mise en scène cherche toujours à casser son discours d'une manière ou d'une autre.

Tout à fait d'accord ! Le film m'a fait penser à du théâtre contemporain (disons, un Pommerat un peu moyen) : une succession de tableaux, très beaux, très solides, mais peu de situations, au sens de scènes nouées et dialectisées. Et qui donc, ne se répondent pas. L'histoire de Rama n'atteint jamais vraiment puissamment celle de Laurence Coly. Et quand une scène complexe s'esquisse - exemple : le procureur qui répond au premier juge qu'un infanticide n'a rien de culturel, et ainsi en attaquent Laurence Coly se retrouve à attaquer également le néocolonialisme de la défense - Diop suspend, fige, transforme encore une fois la situation en tableau.
Diop a fait des documentaires magnifiques et on le sent - la première audition, qui se solde par l'interrogatoire du vieux mari, est sublime. Dans le temps, l'écoute, la patience. Mais c'est sa première fiction, et ça se sent aussi : je sens une confusion entre une mise en scène qui "capte" et quelque chose de plus construit. Ca donne des trucs inutiles : pourquoi donner un cours sur Duras, au début du film, alors qu'il faudrait simplement "faire du" Duras ? Pourquoi terminer sur des plans de Saint-Omer alors que le lieu n'a aucune importance dans tout le film ? Entre autres choses...Un film qui a l'apparence de la rigueur, mais qui en manque cruellement, mais qui cependant ne manque pas de désir, d'intensité.
Moralement, une séquence me gène : la plaidoirie finale, avec les visages féminins émus aux larmes. Je ne dis pas que la sororité ne peut exister, mais filmée comme cela, qui plus est dans une scène de procès, ce n'est pas un peu douteux ? Surtout les yeux mouillés de la juge...ça, franchement, c'est pas possible....trop facile... :sarcastic:
Le cours sur Duras est une catastrophe.

Pour moi, la fausse piste du film, c'est le fait que l'écrivaine soit enceinte. Ca, ça dilue le récit, qui ne peut pas se permettre, étant donné qu'il procède par touches, de multiplier les informations. Qu'une femme pense à son enfance et à sa mère en assistant au procès de Laurence Coly, ça aurait suffi, je trouve. Et toutes les scènes avec le mari sont juste horribles ("c'est une femme cassée ta mère" : non merci !).

Le fait que le lieu n'existe pas, je trouve que c'est une preuve de la difficulté de la cinéaste à incarner un peu sa fiction. Elle a travaillé en documentariste, en habitant pleinement les textes du procès (qui sont les vrais textes du vrai procès), mais elle n'a pas su filmer la chambre d'hôtel, ni la ville, ni le petit restaurant, ni vraiment les repas avec la mère de l'accusée.
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sokol
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cyborg a écrit :
mar. 29 nov. 2022 19:27


En dehors de "Ceci n'est pas un film" j'ai toujours trouvé Panahi un petit peu didactique et restant dans l'ombre de Kiarostami.
A mon opinion, c'est son film le plus pur, donc mon préféré (même si j'adore "Le cercle", c'est son chef d’œuvre). Mais c'est comme ça avec lui (son coté dialectique) : au fond, je pense, c'est du Tati (mais ça c'est un autre sujet...)
cyborg a écrit :
mar. 29 nov. 2022 19:27
Au cœur du film semble se rejouer une sorte de "Blow Up numérique"
ah ! Très bien vu !!! :love:
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
mer. 30 nov. 2022 02:37
B-Lyndon a écrit :
mar. 29 nov. 2022 22:05
Ilan a écrit :
mar. 29 nov. 2022 00:01

Ca tient probablement à un effet de mise en scène.
L'accusée a la parole. La défense a la parole. Les spectateurs du procès ont la parole aussi. Il n'y en a qu'un qui n'a pas vraiment la parole: le procureur.
Chaque fois qu'il parle, soit il est interrompu par un effet de montage, soit le son baisse, soit un plan montre à quel point ses mots sont ressentis comme une violence par l'assistance. Il est pourtant un élément essentiel du procès, mais la mise en scène cherche toujours à casser son discours d'une manière ou d'une autre.

Tout à fait d'accord ! Le film m'a fait penser à du théâtre contemporain (disons, un Pommerat un peu moyen) : une succession de tableaux, très beaux, très solides, mais peu de situations, au sens de scènes nouées et dialectisées. Et qui donc, ne se répondent pas. L'histoire de Rama n'atteint jamais vraiment puissamment celle de Laurence Coly. Et quand une scène complexe s'esquisse - exemple : le procureur qui répond au premier juge qu'un infanticide n'a rien de culturel, et ainsi en attaquent Laurence Coly se retrouve à attaquer également le néocolonialisme de la défense - Diop suspend, fige, transforme encore une fois la situation en tableau.
Diop a fait des documentaires magnifiques et on le sent - la première audition, qui se solde par l'interrogatoire du vieux mari, est sublime. Dans le temps, l'écoute, la patience. Mais c'est sa première fiction, et ça se sent aussi : je sens une confusion entre une mise en scène qui "capte" et quelque chose de plus construit. Ca donne des trucs inutiles : pourquoi donner un cours sur Duras, au début du film, alors qu'il faudrait simplement "faire du" Duras ? Pourquoi terminer sur des plans de Saint-Omer alors que le lieu n'a aucune importance dans tout le film ? Entre autres choses...Un film qui a l'apparence de la rigueur, mais qui en manque cruellement, mais qui cependant ne manque pas de désir, d'intensité.
Moralement, une séquence me gène : la plaidoirie finale, avec les visages féminins émus aux larmes. Je ne dis pas que la sororité ne peut exister, mais filmée comme cela, qui plus est dans une scène de procès, ce n'est pas un peu douteux ? Surtout les yeux mouillés de la juge...ça, franchement, c'est pas possible....trop facile... :sarcastic:
Le cours sur Duras est une catastrophe.

Pour moi, la fausse piste du film, c'est le fait que l'écrivaine soit enceinte. Ca, ça dilue le récit, qui ne peut pas se permettre, étant donné qu'il procède par touches, de multiplier les informations. Qu'une femme pense à son enfance et à sa mère en assistant au procès de Laurence Coly, ça aurait suffi, je trouve. Et toutes les scènes avec le mari sont juste horribles ("c'est une femme cassée ta mère" : non merci !).

Le fait que le lieu n'existe pas, je trouve que c'est une preuve de la difficulté de la cinéaste à incarner un peu sa fiction. Elle a travaillé en documentariste, en habitant pleinement les textes du procès (qui sont les vrais textes du vrai procès), mais elle n'a pas su filmer la chambre d'hôtel, ni la ville, ni le petit restaurant, ni vraiment les repas avec la mère de l'accusée.
Oui complètement.
En revanche, j'adore dans le film, comme toi, les petits flashbacks de l'enfance de Rama. Je les trouve tout le temps beaux, fins, inspirés. Et complètement poignants, comme des poèmes. J'aurai rêvé que le film ne soit que le procès, ponctués de ces flashbacks qui appartiendraient à Laurence Coly (même si j'aime l'idée de filmer non pas seulement le procès mais la manière de la recevoir, ce que c'est que se prendre une audition dans la gueule et puis sortir, fumer sa cigarette, déambuler dans les rues - mais force est de constater que ça ne reste qu'une idée).
J'avais aussi adoré les références à la mère dans Nous. Je crois que c'est ce que Alice Diop saisit le mieux depuis deux films et j'espère qu'elle osera en faire un film entier, sans avoir peur de leur apparente petitesse. En tout cas, elle me semble armée pour faire les plus beaux films de ces prochaines années.
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asketoner
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Tiens, j’apprends que le producteur de Bowling Saturne, qui fait d’une scène totalement degueulasse le clou de son médiocre spectacle, est aussi celui des Amandiers. Cohérent.
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Skipper Mike
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B-Lyndon a écrit :
mer. 30 nov. 2022 00:47
Skipper Mike a écrit :
mar. 29 nov. 2022 23:44
B-Lyndon a écrit :
mar. 29 nov. 2022 22:05
Moralement, une séquence me gène : la plaidoirie finale, avec les visages féminins émus aux larmes. Je ne dis pas que la sororité ne peut exister, mais filmée comme cela, qui plus est dans une scène de procès, ce n'est pas un peu douteux ? Surtout les yeux mouillés de la juge...ça, franchement, c'est pas possible....trop facile... :sarcastic:
Si l'on en croit l'interview dans le fascicule distribué dans les cinés, il s'agit des vraies réactions des actrices, pas quelque chose de prémédité.
:lol: j'avais oublié qu'un film atterrissait dans les salles de cinéma directement après son tournage !
Bien sûr que c’est un choix de montage d’avoir montré ces réactions et qu’il est contestable, mais ce n’est pas la question. Je donnais ça en contre-exemple à tes doutes sur le fait que des larmes puissent survenir comme signe de sororité. Mais effectivement je t’avais lu trop vite et j’avais omis que tu parlais spécifiquement du cadre d’un procès. Dans la scène ce sont les larmes de l’actrice et non celles de la juge qui sont documentées, tu as raison.
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B-Lyndon
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Skipper Mike a écrit :
jeu. 1 déc. 2022 19:28
B-Lyndon a écrit :
mer. 30 nov. 2022 00:47
Skipper Mike a écrit :
mar. 29 nov. 2022 23:44


Si l'on en croit l'interview dans le fascicule distribué dans les cinés, il s'agit des vraies réactions des actrices, pas quelque chose de prémédité.
:lol: j'avais oublié qu'un film atterrissait dans les salles de cinéma directement après son tournage !
Bien sûr que c’est un choix de montage d’avoir montré ces réactions et qu’il est contestable, mais ce n’est pas la question. Je donnais ça en contre-exemple à tes doutes sur le fait que des larmes puissent survenir comme signe de sororité. Mais effectivement je t’avais lu trop vite et j’avais omis que tu parlais spécifiquement du cadre d’un procès. Dans la scène ce sont les larmes de l’actrice et non celles de la juge qui sont documentées, tu as raison.

:jap: :jap:

Sinon, le pannel critique du Sight and Sound, qui se réunit tous les 10 ans pour établir la liste des "meilleurs films de tous les temps", vient d'élire pour la première fois Jeanne Dielman à la première place.
https://www.bfi.org.uk/sight-and-sound/ ... eFWY9JfEGE
On peut ricaner du principe de ces listes, et je le fais bien volontiers, mais j'ai de la mémoire et je me souviens aussi qu'elles sont une inévitable boussole quand on est jeune cinéphile et qu'on cherche à savoir quels sont les films à voir. Alors réjouissons nous un peu !
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sokol
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B-Lyndon a écrit :
jeu. 1 déc. 2022 23:05
On peut ricaner du principe de ces listes, et je le fais bien volontiers, mais j'ai de la mémoire et je me souviens aussi qu'elles sont une inévitable boussole quand on est jeune cinéphile et qu'on cherche à savoir quels sont les films à voir. Alors réjouissons nous un peu !
🙏

il y d’excellente surprise : Touki Bouki ou Beau travail
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Jean-Marie Straub
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Tyra
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Je ne sais pas qui participe à ce classement, mais on voit très bien que les femmes sont poussées en avant pour ne pas perdre de points en progressisme... Beau travail 7e meilleur film de tous les temps entre 2001 l'odyssée de l'espace et Mulholland Drive, le Céline Sciamma 30e entre 8 1/2 et Shoah... :benetton:
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Mr-Orange
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Tyra a écrit :
ven. 2 déc. 2022 14:07
Je ne sais pas qui participe à ce classement, mais on voit très bien que les femmes sont poussées en avant pour ne pas perdre de points en progressisme... Beau travail 7e meilleur film de tous les temps entre 2001 l'odyssée de l'espace et Mulholland Drive, le Céline Sciamma 30e entre 8 1/2 et Shoah... :benetton:
En dépit de quelques films qui ont été de toute évidence placés là pour des questions de représentativité et de diversité, ça reste un des tops institutionnels les plus convaincants (les plus intéressants, du moins, car je suis loin d'avoir tout vu) que j'ai pus voir. Et, pour un classement "institutionnel", je ne trouve pas ça impertinent de chercher un peu d'éclectisme, que ce soit en matière de nationalités, de périodes, et maintenant de genres. Ca change des tops où il y a toujours les mêmes 80 films américains dans un top 100.
C'est sûr que c'est ahurissant de voir Le Mépris et Tarkovski derrière le Sciamma, mais c'est aussi ce genre de choix qui donne du piquant aux tops. :D Il faut un minimum de subversion et de provoc', sinon c'est pas drôle.


Sinon, ça va bientôt être le moment d'envoyer le top 10 2022 aux Cahiers, j'imagine, tenez-vous prêts. Pour celles et ceux qui sont capables de faire un top 10 avec conviction de cette molle année. :D
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Nonore
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Skipper Mike a écrit :
mar. 29 nov. 2022 23:44
B-Lyndon a écrit :
mar. 29 nov. 2022 22:05
Moralement, une séquence me gène : la plaidoirie finale, avec les visages féminins émus aux larmes. Je ne dis pas que la sororité ne peut exister, mais filmée comme cela, qui plus est dans une scène de procès, ce n'est pas un peu douteux ? Surtout les yeux mouillés de la juge...ça, franchement, c'est pas possible....trop facile... :sarcastic:
Si l'on en croit l'interview dans le fascicule distribué dans les cinés, il s'agit des vraies réactions des actrices, pas quelque chose de prémédité.
Par ailleurs, Alice Diop raconte avoir fondu en larmes lors de la plaidoirie finale quand elle s'était rendue au vrai procès, et qu'elle en a eu honte. Sauf qu'en regardant d'autres femmes dans la salle, elle les a vues également pleurer. Mais ce n'est pas exactement ça qui se produit dans le film mais bel et bien des plans successifs, et excessifs, de femmes en sanglots ... Trop simple en effet, et ne retranscrivant pas un souvenir - même si Rama n'est pas exactement le double de la réalisatrice dans le film.
"Le cinéma est la musique de l'œil." - Germaine Dulac.
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sokol
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Jean-Marie Straub
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Whiskiss
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sokol a écrit :
sam. 3 déc. 2022 01:16
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Bon sang, qu'ils peuvent être chiants avec leur Hong Sang-soo annuel :lol:
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asketoner
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She Said, Maria Schrader

Rien à voir avec Saint-Omer, et pourtant l'écueil est au même endroit exactement. Comme si l'époque ou l'air du temps tenait lieu de mise en scène. Comme s'il y avait des plans magiques (deux femmes qui pleurent en prenant la mesure de leur sort respectif), contre lesquels le cinéma s'arrête.
Il s'agit en effet, dans les deux films, de disposer quelques figures dans des plans, selon une logique réparatrice ou bienveillante : les femmes qui se soutiennent, et les hommes à l'écoute. Montrer la sororité, la souffrance partagée des femmes, leur peur et leur courage. Et rester positif, malgré l'adversité. Rester confiant dans la puissance du féminin, et ses potentialités étouffées. Rester confiant dans le masculin : les hommes aussi peuvent s'occuper des bébés (le film ressemble à un manifeste pro-congé paternel).
Dans Saint-Omer, les femmes sont au tribunal : ce sont des figures à l'arrêt, des visages posés dans les cadres (de la caméra et du lieu, dont les arêtes dorées dessinent l'abscisse et l'ordonnée). Dans She Said, film hollywoodien, elles sont en mouvement. Elles courent, prennent des avions, sont frôlées par des voitures dans la nuit. Si elles parlent (en marchant dans les open spaces du New York Times), une autre conversation, plus importante, les interrompt. Il y a une dramaturgie de la hiérarchie des informations. C'est haletant, découpé. J'ai eu l'impression d'être dans le cerveau d'un smartphone pendant deux heures, avec des notifications qui entrent en concurrence les unes avec les autres. Et parfois les femmes s'arrêtent, mais pas pour parler : pour faire parler. Elles ne témoignent pas, elles enquêtent. Elles n'analysent pas, elles s'en tiennent aux faits.
Dans l'un comme dans l'autre cas, les films échouent à montrer de leurs personnages autre chose qu'une idée. Ce sont deux films qui ne savent pas vraiment quoi faire du quotidien. Le vivant est au service d'un discours, d'une thèse. La journaliste qui a fait une dépression post-partum s'arrête au milieu de l'enquête et dit à sa collègue, très empathique, que ce n'était pas seulement une dépression personnelle, mais plus large en réalité, et que c'est sans doute le sort des femmes dans leur ensemble qui est venu l'atteindre à ce moment-là. Le propos n'est pas absurde, mais il reste un propos. Et cette scène n'est là que pour le soutenir ou l'illustrer. Sans rien dire de plus.
Malgré cette réserve, le rythme de l'enquête journalistique est très bien rendu (on pense à Spotlight), et donne à voir, par son suspense étonnant (on craint sans cesse qu'elles n'arrivent pas à publier à l'article, alors qu'on sait ce qui s'est passé, car c'est une histoire récente et encore bien vive), les résistances spectaculaires qu'ont provoqué et provoquent encore les révélations liées à Harvey Weinstein dans le monde du cinéma et dans la société plus largement.
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Tamponn Destartinn
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COW - Andrea Arnold

Incroyable : je me dis déçu de EO, car j'aurais aimé qu'il suive exclusivement que le point de vue de l'animal, et voila que j'apprends que l'une des meilleures cinéastes actuels a réalisé un documentaire sur une vache qui fait EXACTEMENT ça ! L'occasion de vérifier s'il faut se méfier de ce qu'on souhaite...
En l'occurence : non. J'adore ce film et ses partis pris. On ne cherche pas à humaniser l'animal, on ne triche pas avec ça, mais le filmer aussi longtemps et d'aussi près permet tout de même de lui donner une individualité. On se sent horrifié de cette vie et on se demande si elle le perçoit aussi comme ça. On a de rares indices. Les humains (presque dommage que leur voix n'ait pas été transformée, les comprendre est le seul élément qui sort de l'immersion) disent qu'elle est de plus en plus protectrice envers ses veaux. Moi j'en entends surtout qu'elle en marre. D'ailleurs, on la bute juste après. Pourquoi exactement ? Juste pour vieillesse ? On sait pas trop, mais elle non plus ne sait pas, donc c'est normal. Ca fait parti de l'absurdité de cette vie, de son point de vue.
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sokol
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B-Lyndon a écrit :
mar. 29 nov. 2022 22:05
Pourquoi terminer sur des plans de Saint-Omer alors que le lieu n'a aucune importance dans tout le film ?
Pour nous dire que le procès (le film est assez huis clos) se déroule dans une ville quelconque, où il doit y avoir plein de Laurence Coly, peu importe la couleur de la peau.Donc, peu importe le lieu géographique. Perso, j'ai adoré ces plans
Modifié en dernier par sokol le lun. 5 déc. 2022 13:42, modifié 1 fois.
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asketoner a écrit :
mer. 30 nov. 2022 02:37
Le cours sur Duras est une catastrophe.
Ce n'est pas le cours qui est catastrophique, c'est Duras elle-même qui l'était, dès qu'il ne s'agissait de "l'imprégnation du réel" (comme elle appelait ça) :

:poop: :D

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Sublime,_ ... hristine_V.
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Skipper Mike a écrit :
jeu. 1 déc. 2022 19:28
Dans la scène ce sont les larmes de l’actrice et non celles de la juge qui sont documentées, tu as raison.
:jap:

Et là, il y a un truc à dire : après avoir pleuré, Laurence non seulement essuie ses larmes mais à la fin, elle fait très très intention à prendre soin de son visage. Et ça dure quelques secondes !
Or : dès le début du film, s'il y a un truc qu'il faut vraiment prêter intention c'est son coté extrêmement prêté : non seulement elle est très femme mais on dirait une vraie française (souvent, ce look assez chic est associé à l’apparence des femmes françaises, à tort ou à raison). or, il s'agit d'une migrante.
C'est la seule question que j'aurais voulu poser à Alice Diop : est-ce que Fabienne Kabou (le vrai nom de Laurence Coly) a fait ce même geste durant le procès ? Je suis sur que si. Et si c'est oui, c'est ce qu'on peut appeler 'scène clef' d'un film et donc, de l'histoire de Fabienne Kabou : elle était folle (délirante, plus exactement) car "elle y croyait" (elle vivait dans un monde parallèle; de solitude, bien sur, mais parallèle)
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Tyra
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J'ai complètement marché, du premier au dernier plan. Parfois c'est difficile d'aller plus loin que de dire "je marche", ou "je ne marche pas". Il y a un grand nombre de scènes assez casse-gueule dans le film, qui ne sont pas loin de s'effondrer, de ne pas tenir, mais ça tient toujours, et c'est cet équilibre fragile qui fait tout le prix du film. J'ai entendu Lalanne parler de Rivette, c'est vrai qu'il y a de ça dans cette manière se faire un film dans le film sur un prétendu complot, mais là où je marche peu chez Rivette (car restant complètement extérieur aux enjeux), ici chaque bribe du récit extorqué au film me tient totalement.
J'ai aussi été saisi par l'unité du film. Et j'ai assez peu compris, du coup, les remarques sur une prétendue dernière partie différente, tant elle me semblait totalement au diapason du reste du film.
Top 1 de l'année, il faut évidemment que je rattrape le reste de la filmographie de Serra.

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J'étais sorti de la salle plutôt bienveillant, mais force est de constater qu'il ne m'en reste pas grand chose. Au fond, je pense que dans ce film, les scènes avec les Hommes ne marchent pas. Elles sont comme surlignées, illustratives, et très peu en interaction avec l'âne qui ne sert plus au final que de lien narratif entre les situations.

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Je l'avais dit avant de voir le film, je le redis : tout ça pour ça ? James Gray a toujours été quelqu'un de pessimiste, dépressif, ça a toujours été évident dans ses interviews. Mais dans ses meilleurs films, un feu tragique a toujours transcendé ce fond un peu sérieux et désabusé. Ce précieux sens du tragique disparu, on se retrouve avec ce film en effet assez mort, perclus de mauvaise conscience. Un film qui dit beaucoup de choses sur son auteur, mais qui ne donne pas grand chose au cinéma.
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asketoner
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Cow, Andrea Arnold

Plus c'est plat, plus ça semble vrai. Mais c'est un semblant. Je ne vois pas ce qu'il y a de plus animal dans Cow que dans Eo. Ce n'est pas parce que c'est plat que c'est animal. Et le problème du plat, c'est que la moindre intention un peu différente se remarque fort : le soleil dans le cadre dans les moments joyeux de la vache, par exemple... Au moins Eo est-il débarrassé de l'illusion de nous faire ressentir la vie de l'animal. On ne sait rien de l'âne - alors on le rêve. Andrea Arnold croit qu'en se débarrassant du rêve, elle va nous permettre d'atteindre la vérité. Mais non. (Bovines, d'Emmanuel Gras, était bien plus pertinent, avec un point de vue extrêmement politique sur les vaches qu'il filmait.)
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cyborg
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Surprenant mélange entre Pasolini (la fable politique, religieuse) et Italo Calvino (pour le postulat de départ absurde) pour un résultat qui détonne particulièrement dans la production cinématographique actuelle. Si l'originalité du projet me convainc, je le suis moins par sa finalité qui me semble plutôt ambiguë (ou alors je n'ai rien compris).


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L’accusée, noire de peau, dans une tenue ocre se tient fixement devant un arrière-fond en bois foncé. Sa bouche est placée en plein milieu de l’image et semble en être le seul élément mobile. S’en échappe une voix continue, neutre, posée, solide. Cette mise en scène rigide, quasi-tableau vivant que l’on retrouve avec d’autres personnages du film, met immédiatement la parole et les mots au cœur des préoccupations de la réalisatrice.

Cet intérêt pour la parole se dessinait déjà dans les films précédents d’Alice Diop, des documentaires où elle n'hésitait parfois pas à la triturer d'une surprenante façon comme dans Vers la tendresse dans lequel elle filmait des corps mais faisait réinterpréter leurs voix par des acteurs. Un procédé que nous retrouvons à nouveau ici puisque les 3/4 du film se passent dans un tribunal où sont rejoués avec précision par des acteurs les propos tenus lors d'un procès du début des années 2010 durant lequel une mère comparaissait pour le meurtre de son bébé.

Que Diop s’intéresse au contexte d’un procès et à l’appareil judiciaire me semble intéressant pour deux raisons.

D’une part elle y trouve une forme abstraite de rapport au réel, un contexte minimal lui permettant de limiter au maximum tout apport fictionnel créatif. Cette somme de contraintes et de paramètres possibles lui permet d’exceller, tandis que tout le reste du film pêche plus largement par sa difficulté à faire exister lieux et personnages. L’écriture de toute la partie purement fictive (l'histoire de l'autrice, sa famille (excepté la brève scène d'exposition ou l'on découvre l'appartement parental, magnifique), sa grossesse... ) semble plus approximative et même redondante par rapport à la puissance intrinsèque du procès. Seules les scènes "de rêve" me paraissent judicieuses. De la même façon, les surgissements appuyés et au premier degré des figures tutélaires (Duras, Pasolini, dans une moindre mesure Wittgenstein) appuient de façon un peu trop visible sur l'axe de lecture du film, devenant de dispensables et encombrantes béquilles. Semblant encore peu à l'aise avec "le construit" des possibles fictionnels l'autrice semble néanmoins avoir tous les outils en main pour s'en émanciper dans ses prochaines créations.

D’autre part la forme du procès questionne intrinsèquement la valeur des paroles elles-mêmes. Si les documentaires de Diop étaient jusqu'à présent des films de témoignages dans lesquels la pluralité des voix donnait une idée d'une insaisissable réalité (Nous, par exemple), le cadre du tribunal fait changer le régime de ce que nous entendons. Ici chaque témoignage et chaque voix se confrontent, s’additionnent ou se soustraient pour tenter d’aboutir à une vérité dans un processus définitionnel.

Saint Omer est donc un film sur ce qu’est une parole, sur ce que peut une parole, sur ce qui la constitue, ses forces, ses espoirs, ses faiblesses et ses craintes à travers le prisme très John Austinien – « quand dire c’est faire »- d’un tribunal public. Mais c’est aussi un film précisément sur l’indicible, sur tout ce qui échappe au dire malgré la construction rigoriste de l’institution pénale. Ceci à nouveau de deux façons. D’une part à travers l’accusée qui, en plus de l’incompréhension totale face au geste perpétré, ressemble à une sorte d’anomalie inimaginable par la société et l’institution occidentale : une femme de couleur, immigrée, éduquée, cultivée, intelligente (il est clairement dit dans l’échange téléphonique avec l’éditeur « il parait qu’elle parle incroyablement bien » ce à quoi l’autrice lui rétorque « simplement comme une femme éduquée », faisant échos aux rudes propos ultérieurs de la professeur lui reprochant le choix d’un sujet de thèse « si éloigné de sa culture »). Et d’autre part à travers la teneur même des propos tenus, qui abordent continuellement la question de l’amour, de l’amour comme lien indépassable et irrationnel entre les êtres, et la crainte de mal de le prodiguer, le recevoir, le donner, le léguer. Cette double dynamique se concrétise particulièrement lors du point d'orgue du film, le discours final hautement bouleversant de l'avocate de la défense. S’y expose une synthèse de la pensée la plus scientifique et rationnelle possible tout en y faisant entrer un élément contre-intuitif, à l'incroyable portée spectrale, celle des "cellules chimériques" que chaque mère transmet à sa fille mais plus encore que chaque fille transmet à sa mère durant les 9 mois de grossesse, ou se cacherait, peut-être, la part la plus absolue de l’amour. Et l'indicible de prendre ici une ampleur globale inattendue.

D’une puissante richesse et intelligence -sensible et cognitive- Saint Omer est un grand film abordant frontalement la complexité de notre société et de tous ses non-dits sociaux, intimes, raciaux, familiaux… Car si chez Alice Diop les statues semblent parler, c’est pour mieux nous rappeler que les statuts, eux aussi, parlent.



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Lake Forest Park - Kersti Jan Werdal

Film ultra-minimaliste d'une heure, ou nous observons le quotidien suspendu de quelques adolescents américains, supposément à la suite du suicide d'un camarade de classe (nous dit le synopsis, rien ne le laisse à comprendre durant le film). A la croisée entre le Pine Flat de Sharon Lockhart et le cinéma de James Benning (on voit d'ailleurs les ado regarder -il me semble- Landscape Suicide durant le film), Lake Forest Park propose une expérience esthétique flottante plutôt plaisante mais qui, si elle ne manque pas de radicalité, manque peut être encore un peu de personnalité et d'enjeux pour aboutir à un objet véritablement intéressant.
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groil_groil
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:hello: :hello:
plus le temps de rien, désolé,
les films vus entre les matchs de foot et les concerts. Je ne dis pas un mot sur tous, et quand je le fais c'est un mot pas plus :

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Je l'avais vu puis oublié, je l'ai revu, déjà réoublié.

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ça aurait pu être bien mais c'est anglais.

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Un des plus beaux westerns que j'ai vu. Vite un bluray !

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J'ai fait un cycle global Halloween. A partir du 4, c'est vraiment de la pure souffrance.

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Rererevu, et c'est de mieux en mieux, même si ça reste un Moretti mineur.

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Figure-toi que je ne l'avais jamais vu ! Putain de chef-d'oeuvre de sa maman, sans qui Lars Von Trier aurait plutôt fait du tricot et qui te fait passer Bergman pour du Max Pécas.

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Cf. plus haut.

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Pour montrer aux enfants qui ont adoré. Et c'est toujours un film absolument magnifique.

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Secondaire.

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Le premier Pasolini que j'ai vu jadis (j'étais monté de Lyon exprès pour aller à l'Accatone), et l'un de mes préférés. Revu dans sa sublime copie bluray, quel cinéaste !!!

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cf. ci-dessus.

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Je n'avais pas revu le KK de 1975 de Guillermin depuis l'enfance, et j'ai profité de sa sortie bluray 4k pour le redécouvrir. C'est super bien, super beau, et c'est une version ultra érotique du mythe. Bon avec Jessica Lange, ça aide.

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cf. ci-dessus en un peu moins pire

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un excellent film (l'air de rien) et qui est (c'est drôle car le hasard veut que j'ai revu l'adaptation de Pasolini juste avant) une sorte de Décaméron moderne (enfin plutôt post-moderne).

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Celui-ci c'est le pompon, avec Michael Myers caché dans Loft Story...

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de très belles choses, mais pas son meilleur.

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Un étonnant et magnifique western moderne, qui commence comme Rambo et qui finit comme Gerry.

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Le nouveau Eugène Green, fait pour Arte, qui ne dure que 35 minutes, mais c'est sublime et tellement au dessus de la mêlée.

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Un film-enquête à la façon de Spotlight sur deux journalistes du NY Times qui font exploser le scandale Weinstein. Ce n'est pas aussi réussi que Spotlight, moins fort, moins inspiré, mais c'est un film utile et nécessaire (et franchement pas ennuyeux une seconde).

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Je ne sais pas comment ni pourquoi des gens continuent à donner des thunes à ce tâcheron de David O. Russell pour faire des films mais ce dernier ne déroge pas à la règle, c'est aussi agaçant qu'insupportable. Horreur !
I like your hair.
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asketoner
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Les Pires, Lise Akoka, Romane Guéret

Le film n'a pas le courage de creuser un peu la dimension méta de son récit, anecdote perdue parmi une dizaine d'autres, dans un ensemble ni poétique ni narratif ni théorique ni naturaliste - un ensemble sans corps, défait, où passent parfois quelques visages, mais sur la pointe des pieds d'une mise en scène absente. Dommage. J'espérais plus d'une fiction qui entendait discuter de la question des acteurs non professionnels, du regard que le cinéma pose sur les classes populaires, sur les corps des mineurs, de la représentation de la sexualité, et du pouvoir du metteur en scène.
len'
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The Corner de David Simon

Un quartier délaissé, les ravages de la drogue, une famille en plein coeur et la vie malgré tout. Ce qui me touche dans cette série, c'est qu'au-delà de la volonté d'interpeller, il y a celle de laisser ses personnages exister dans un quotidien, sans les idéaliser ou les maltraiter plus que de raison pour la bonne marche de l'histoire. Le récit finira d'ailleurs en toute humilité sur les témoignages de la véritable famille. C'est là qu'on voit tout l'intérêt d'une série, mais cela reste finalement assez rare un tel souci d'écriture. Point de superficialité donc, mais des variations, des routines, des attitudes et du temps qui passe : les longues journées à errer, traversées par les chutes, l'espoir d'en sortir ou l'effondrement (pas celui fantasmé du monde entier mais bien l'effondrement individuel, celui qu'on ne voit pas ou qu'on ne veut pas voir). Une vingtaine d'années après la diffusion de la série, c'est dur de se dire que rien n'a vraiment changé, voire s'empire si c'est encore possible. Il y a ce sentiment que l'inacceptable ne finit jamais, en écho au regard de DeAndre McCullough, le fils, qui à la toute fin semble déjà voir cet avenir sans illusion. Il mourra finalement d'une overdose quelques années plus tard, après avoir joué un rôle dans la monumentale série "the wire". Destin partagé par beaucoup d'autres, en tout anonymat ou englobés dans des statistiques, tandis que la société continue de tourner à un rythme frénétique comme si de rien n'était. Mais tout ne se résume pas à la fin, il y a aussi les instants, comme le père et le fils qui jouent en toute pudeur au basket ensemble ou cette tendresse qui revient, même au moment où on ne s'y attend plus. Juste des instants, mais des instants éternels.
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asketoner
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Fumer fait tousser, Quentin Dupieux

C'est mieux que le précédent, mais ça reste trop superficiel et désinvolte. Il y a une mélancolie mais elle est vraiment minuscule.

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Le Tigre du Bengale, Fritz Lang, 1959

Premier volet d'un dyptique. Je ne sais pas si je vais avoir envie de regarder le suivant. C'est pourtant pas mal du tout, on arrive souvent à passer outre le kitsch exotique par la richesse de la mise en scène, mais le récit ne m'intéresse pas beaucoup.
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sokol
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asketoner a écrit :
sam. 17 déc. 2022 17:58
mais ça reste trop superficiel et désinvolte.
Même si c’est un peu facile : mais c’est le cinéma qui est un peu superficiel et désinvolte non ? Je trouve que la superficialité et la désinvolture du film annule celles du cinéma
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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Pour moi ça n'a rien annulé du tout. :D


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Le Tombeau hindou, Fritz Lang, 1959

Finalement, j'ai eu envie de voir le second volet. Ca démarre très fort, et puis ça s'enlise. L'histoire est un peu inutilement "méchante" à mon goût. Il reste quelques raccords extrêmement beaux, des détails d'une grande expressivité.


Et sinon je revois par morceaux An Elephant Sitting Still de Hu Bo, que j'aime toujours.
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Poet, Darezhan Omirbayev

Un cinéma de plus en plus académique. Omirbayev a laissé tomber l'étrangeté de ses premiers films pour rentrer calmement dans le rang.
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sokol
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asketoner a écrit :
lun. 19 déc. 2022 10:01

Poet, Darezhan Omirbayev

Un cinéma de plus en plus académique. Omirbayev a laissé tomber l'étrangeté de ses premiers films pour rentrer calmement dans le rang.
Chouga (2007) n’était pas académique ! Mais je n’ai pas pu voir L’étudiant (2012)
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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sokol a écrit :
lun. 19 déc. 2022 12:08
Chouga (2007) n’était pas académique ! Mais je n’ai pas pu voir L’étudiant (2012)
Je trouve un peu, si. Ses plans me font l'effet d'une salle de classe bien tenue, avec des élèves traumatisés qui n'osent pas bouger pendant la leçon.
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Quelqu'un sait pourquoi The Kingdom : Exodus de Lars Von Trier, qui était prévu pour être diffusé sur Mubi à partir du 27 novembre, n'est déjà plus disponible ? Est-ce qu'il y aurait finalement une diffusion ailleurs ?
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yhi
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Je suis abonné Mubi (France) et je l'ai jamais vu dispo. Tu es sûr que c'était pour la France ?
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yhi a écrit :
mar. 20 déc. 2022 00:26
Je suis abonné Mubi (France) et je l'ai jamais vu dispo. Tu es sûr que c'était pour la France ?
un article ici par exemple : https://www.lesinrocks.com/series/trail ... 3-10-2022/
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yhi
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Etant intéressé j'ai fouillé un peu mais à mon avis c'est jamais sorti (en France). Sur le twitter Mubi France par exemple, il n'y a aucune promo liée à ça même en remontant jusque début novembre. J'imagine que pour des histoires de droits ça a pas pu être diffusé ou alors qu'ils ont reporté à plus tard.
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yhi a écrit :
mar. 20 déc. 2022 10:24
Etant intéressé j'ai fouillé un peu mais à mon avis c'est jamais sorti (en France). Sur le twitter Mubi France par exemple, il n'y a aucune promo liée à ça même en remontant jusque début novembre. J'imagine que pour des histoires de droits ça a pas pu être diffusé ou alors qu'ils ont reporté à plus tard.
Ok, c'est bien ce que je pensais aussi. Il y a eu pas mal de papiers qui annonçaient le truc, et aucun commentaire nulle part, alors je trouvais ça louche.
J'espère qu'il y aura une diffusion d'une façon ou d'une autre. Les deux premières saisons étaient sorties en salles. Peut-être que...
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Narval
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Fumer fait tousser - Quentin Dupieux
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Dupieux est dans une période où il tourne beaucoup (5 films en 5 ans depuis Au poste) et où il a accès à des comédiens de plus en plus branchouilles, on dirait que tout le monde se bouscule pour pouvoir être dans ses films. Résultat : malgré le casting hyper fourni de Fumer fait tousser, avec notamment des stars du comique, tout le monde s'en retrouve lésé. Dans cette équipe de super-héro tout droit inspiré des Sentai, il n'y en a pas un qui sorte de sa coquille, faute en grande partie à des dialogues d'une grande pauvreté et à un niveau de jeu très limité (tout le monde n'est que dans la réaction, et par réaction j'entends des réactions naturalistes que n'importe qui pourrait faire à base de "putain" et de mots fourre-tout pour apprécier à quel point tel évènement est marquant. Bref, les personnages de ce film auraient pu être joué par n'importe qui, aucune des caractéristiques des comédiens n'est mise en avant ou travaillée pour apporter quelque chose de différent. Ce qu'il fait de Lacoste et de Demoustier, ce n'est pas drôle ou intéressant, c'est même un peu gênant. Lellouche est dans la vulgarité, Zadi a le rôle du papa à distance mais c'est beaucoup trop générique et propre. Amamra est dans des postures faciles (tout comme son perso qui au final n'a aucun intérêt). Bref, on ressort donc avec cette impression tenace d'un gros gâchis de talents. Le type a une équipe en or, de supers idées de départ (ce séminaire à ciel ouvert c'est la porte ouverte à toutes les échappées possibles), mais le film manque cruellement d'une cohérence narrative et de rythme. N'est pas Bunuel qui veut, et Dupieux n'arrive pas à lier ses multiples récits enchassés avec la trame principale de son récit (cf Le charme discret de la bourgeoisie par exemple qui parvenait parfaitement à se faire rencontrer les rêves et récits imbriqués). Il en résulte un déséquilibre assez gênant entre les légendes racontées par les personnages du film et ce qu'ils vivent.

Les meilleurs moments du film sont justement ces courtes histoires, où quelque chose arrive enfin à percer au niveau de l'émotion. Le segment avec le masque est génialement simple mais il est aussi le plus marquant par son nihilisme. En tant que court-métrage détaché du reste ça reste chouette et par ailleurs l'écriture devient enfin un peu plus forte à ce moment là. Le segment dans l'atelier est très drôle, et c'est notamment dû au choix de casting qui pour le coup sont vraiment judicieux. Je suis pas fan de Gardin, mais là elle fait quelque chose d'intéressant avec sa bouche, ses tics, sa colère, c'est différent de d'habitude, en parfait contrepoint avec son neveu qui disparaît peu à peu dans le néant avec son visage tout ahuri, et Dupieux prend le temps de filmer sa décomposition. C'est beau la façon dont elle a d'interagir avec lui au fur et à mesure. Le très court segment avec le poisson en plastique qui observe la contamination de la rivière c'est parfait, avec le rappel plus tard sur le barracuda.

Le problème c'est que pour moi ces cours-métrages viennent un peu altérer la force du film et que l'intrigue principale en souffre. Ce robot qui se suicide cela aurait pu être hyper intéressant, mais il manque des rappels et des liens pour rendre cet évènement réellement fort. Que le monde finisse par peut-être mourir en quelques minutes ce n'est absolument pas tangible à l'écran. Quand le groupe se met à déprimer sur leur fin imminente et à se prendre dans les bras on y croit pas une seconde car personne n'a été réellement esquissé auparavant. Les autres personnages récurrents sont aussi peu convaincants (cf Didier qui n'est qu'un assoiffé de sexe en peignoir, le grand méchant qui a 5 minutes d'écran et disparaît sans aucun contexte). Tout est facile, et le final ne peut que s'en retrouver décevant. Il y a par moments de belles choses, mais pour moi la sauce absurde n'a pas pris, on est quand même bien loin d'un film comme Réalité en termes d'écriture qui arrivait à faire tenir une idée tout du long tout en ouvrant plein de portes pour arriver à une vertigineuse conclusion. Ici, aucun vertige, mais un film bâclé.

Et pour la note musicale : Y'a bien une dizaine de morceaux de Mort Garson dans ce film, mais j'avoue ne pas avoir trouvé leur utilisation justifiée par rapport au contenu. C'est comme s'il avait mis sa playlist du moment sans vraiment donner de la cohérence à l'ensemble. Je préférais quand il composait directement pour ses films (cf Rubber, Wrong cops...)
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asketoner
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Falcon Lake, Charlotte Le Bon

Anodin et très lisse. Je l'ai déjà oublié.

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Paris qui dort, René Clair, 1925

Une sorte de grand rêve prémonitoire du confinement.
Le récit est un peu obsédé par la question de l'argent : tout ce qu'on peut voler quand tout le monde dort sauf nous.
Les séquences les plus belles ont lieu sur la Tour Eiffel, lorsque la petite bande d'insomniaques est obligée d'inventer sa vie, son temps, son rapport au monde quand le monde ne bouge plus.

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How to save a dead friend, Marusya Syroechkovskaya

Présenté à Cannes l'année dernière mais sorti seulement sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/095124-00 ... ad-friend/

La réalisatrice a seize ans quand le film commence. Elle vit à Moscou. Ses amis se suicident les uns après les autres. Elle-même a déjà fait quelques tentatives. Elle décide de mourir pour de bon avant ses 17 ans. Mais sur un forum grunge, elle rencontre un garçon aussi déprimé qu'elle et qui la fait rire malgré tout, avec qui elle découvre Kurt Cobain, Joy Division... Elle passe tout son temps avec lui. Cette rencontre la sauve. Il y a toujours quelqu'un quand une crise la saisit. Elle pleure, il est là. Elle se marie avec lui. les adoptent des chats. Ils vivent dans de grandes barres d'immeubles en périphérie de Moscou. Ils surnomment la Russie "la Fédération de la Déprime". Et les Russes : "les tristes".
Alors qu'elle sort peu à peu de sa dépression, elle trouve quelque chose qui la passionne : une caméra. Lui, son grand frère sort de prison, et il découvre la drogue. Elle en prend aussi un peu, mais toujours moins que lui. Un jour, elle se rend compte qu'il est devenu un junkie. Elle ne peut plus vivre avec lui, elle divorce, mais continue de le filmer. Elle sait très bien ce qu'est une dépression. Avec sa caméra, elle regarde l'homme qu'elle aime s'y enfoncer, s'y perdre. Son visage et son corps changent, ses mouvements s'altèrent. Elle lui rend visite à l'hôpital psychiatrique ou chez sa mère. Elle l'accompagne chez le médecin pour qu'il demande un statut spécial. Elle tente aussi de vivre loin de lui, mais il lui manque. Il pleure, il parle en toute confiance, il lui parle alors même qu'il sait qu'il l'a perdue, même si elle vient encore le voir. Un jour il saute d'un pont alors que le niveau de l'eau est bien trop bas. Il lui avait demandé de le filmer, elle a refusé. Il a trouvé quelqu'un d'autre pour immortaliser le moment. Elle place la scène dans le film qu'elle fait sur lui. La scène qu'elle ne voulait vraiment pas voir. L'auto-destruction sans limite désormais. Il fait des overdoses. Un jour il en fait une en trop, et il meurt.
Le film est terrible, bouleversant. La cinéaste nous plonge dans le désespoir de son ami, et dans son impuissance à elle aussi, qui assiste à ça sans pouvoir le rattraper, sans parvenir à le sauver alors que c'est ce qu'il a fait pour elle. La drogue est toujours plus forte qu'elle. Plus forte que sa présence auprès de lui. C'est le plus déchirant : l'inégalité radicale de la relation, l'injustice d'être celle qui filme et pas celui qui meurt alors qu'elle a tant désir mourir elle-même. Mais elle a trouvé le cinéma sur sa route. Une raison d'être au monde malgré tout. Avec cette acuité particulière qu'elle a et qu'elle aura toujours pour le désespoir.
L'ensemble est mêlé d'images de manifestations et des discours de Poutine à la télévision. La violence et la bêtise. Je crois qu'on verra ce film dans 20 ou 30 ans comme le témoignage le plus implacable sur ce qu'a vécu la jeunesse russe du temps du règne de Poutine. L'hypothèse de la cinéaste est que la dépression qu'elle a vécue et celle de son ami sont des dépressions nationales, politiques, induites par le pays lui-même. Et tous les morts qu'elle a connus sont morts parce que l'Etat ne souhaitait pas qu'ils survivent. Elle n'est pas dupe : elle ne cache pas la drogue, les histoires familiales complexes, mais elle ne cache pas non plus ce que Poutine a fait aux gens.
Le film souffre un petit peu du fait que la cinéaste ne l'était pas encore tout à fait (cinéaste) au début de sa relation amoureuse. Il manque quelques images, quelques scènes au début qui aurait donné un peu d'épaisseur et de vie aux premières minutes, qui ressemblent plus à un photomontage qu'à un documentaire. Le cinéma vient peu à peu. En cours de route. Quand c'est déjà trop tard finalement. C'est magnifique d'assister à cette naissance, et pourtant c'est absolument trop tard.
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cyborg
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La récente liste décennale de Sight & Sound m’a donné envie de voir quelques grands classiques, même si j’ai désormais l’impression d’avoir vu une bonne majorité des films cités. Du top 10 il ne m’en manquait qu’un… du moins le croyais-je ! Le titre anglais ne me disait rien, mais les quelques premières minutes m’ont vite fait me souvenir de… La Prisonnière du Désert. Soit : un revisionnage ne me fera pas de mal.
Je me souvenais essentiellement de la puissance plastique du film car Ford y magnifie incroyablement chaque plan : non seulement les extérieurs, mais aussi ceux d’intérieur en effectuant un véritable travail d’orfèvre sur les éclairages, l’espace, les positionnements des protagonistes, comme porté par un désir dévorant de pictorialité.
Quant au récit, Ford s’en sert pour questionner le mythe de l’ouest qu’il a lui-même participé à construire. Il donne à son film une dimension totalement biblique (que l’on songe au nom des personnages ou à la construction globale du film, se composant d’une errance de plusieurs années au sein du désert) venant renforcer les questionnement moraux portés par un personnage principal dont l’ambiguïté ne sera jamais résolue. Je connais mal Ford, mais ce film réalisé à déjà 64 ans (!) semble ouvrir le dernier tiers (ou quart) de sa carrière, période difficile tant sur le plan personnel que professionnel… difficile de ne pas faire lien entre le personnage d’Ethan Edward et de Ford lui-même semblant jeter un regard sans concession sur lui-même et sur son œuvre au sein d'une époque qui n'est plus la sienne.


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Anantaram – Adoor Gopalakrishnan

L’une des particularités du cinéma indien est son utilisation de la temporalité, dont mon regard d’occidental peine parfois à saisir les logiques, sens et justifications. Anantaram (Monologue) ne déroge pas à la règle : Gopalakrishnan nous y compte le quotidien d’un jeune orphelin tout au long de sa jeunesse, jusqu’à ce que le film semble redémarrer, dans le même contexte et avec le même héros, tandis que les personnages secondaires incarnent des rôles différents, donnant au récit une toute autre forme. Du moins jusqu’à ce que les deux trames semblent par se mélanger de façon troublante, remettant en cause l’une et l’autre les histoires que nous suivions jusqu’alors. Semblant témoigner ici de ses problèmes psychiques et la schyzophrénie dont il était atteint, Gopalakrishnan livre ici une belle variation sur la question du « double », grand sujet de la modernité cinématographique, s’exprimant tant par la narration que par la mise en scène. Super découverte d’un cinéaste dont j’ai déjà envie d’approfondir l’œuvre.


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Stonewalling - Ji Huang et Ryuji Otsuka

Comme chaque année Sabzian, revue numérique belge de cinéma, organisait son « State of Cinema » à Bozar : l’occasion d’inviter une grande personnalité contemporaine pour qu’il exprime son point de vue sur l’état actuel de l’art cinématographique et diffuse un film de son choix. Cette année le choix s’était porté sur Wang Bing, ce qui n’avait rien pour me déplaire. Malheureusement son discours, centré sur l’état du cinéma chinois, fut aussi platement attendu (la censure, la difficulté de financement, la fin du cinéma « indépendant »…) que manquant d’envergure, puis son Q&R fut ponctué de réponses évitées et peu développées. Une soirée plutôt décevante donc, d’autant que Stonewalling ne fut pas beaucoup plus convaincant.
Une jeune 20aire tombe enceinte et, mentant à son partenaire, décide de ne pas avorter pour garder l’enfant et le vendre à une autre famille. D’une grande lenteur, dans un style atonal total et avec un manque absolu d’idée cinématographique (généralement un enchainement de plans fixes et larges), le film est pénible de bout en bout. Aucune empathie -ni même simple intérêt- n’apparait face au personnage principal, tandis que chaque pistes parallèles est aussi vite esquissé qu’esquivé. La fin est ponctué du surgissement du Covid, sans que l’on sache si cela était voulu par l’intrigue ou une nécessité qu’il a fallu intégrer au tournage… Quoi qu’il en soit, le dénouement fatal, qui aurait du être hautement tragique, est avant tout un soulagement lorsque surgit enfin le générique. Une soirée plutôt décevante, donc.


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Mathilukas - The Walls - Adoor Gopalakrishnan

Le film de prison est un genre cinématographique à part entière. Il n’est cependant ici question ni de petite frappe, ni de mafia, ni d’évasion mais du quotidien pénitentiaire d’un jeune auteur célèbre. On ne connait pas précisément les causes de son enfermement mais on l’imagine activiste politique déplaisant au gouvernement.
L’entièreté du film se passe à l’intérieur de la prison, le monde étant relégué en hors-champs total dont on ne perçoit que de lointains échos liés à l’agitation politique de l’indépendance indienne. Notre personnage principal, lui, recrée un univers à lui : il plante des roses dans la cour de la prison, trouve le moyen de faire du thé et d’en servir à ses codétenus et recroise même d’anciens camarades de classe avec qui il échange des souvenirs. Enfin, dans la dernière partie du film, il tombe amoureux d’une prisonnière enfermée dans la prison pour femme accolée à la sienne et que nous ne connaitrons, tout comme lui, que par sa voix. La dernière partie du film, assez incroyable, se compose ainsi essentiellement de plans d’un homme parlant à un haut mur de béton, libérant la force de projection de l’imagination. La rupture finale contrainte par une libération inattendue, n’en sera pas moins tragique, et notre héros de conclure que le monde n’est, au final, qu’une prison un peu plus vaste. Comme nous pouvions l’imaginer l’univers carcéral était avant tout symbolique et renvoyait à n’en pas douter à la condition psychique souffrante et fragile du réalisateur, et potentiellement de celle de tous les spectateurs. Deuxième belle et surprenante découverte de la part d'Adoor Gopalakrishnan !
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asketoner
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Mauvaises filles, Emérance Dubas

Intéressant. (Mais pas assez copieux.)

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Godland, Hlynur Palmason

Un Jour si blanc avait fini premier de mon top 2020, et pas seulement parce que les cinés avaient été fermés la majeure partie de l'année, mais aussi parce que le deuxième film de Hlynur Palmason était excellent. Le troisième, Godland, confirme qu'il y a bel et bien un grand cinéaste en Islande, ce qui aurait pu ne jamais arriver dans un si petit pays si peu peuplé.
Par exemple, Noi Albinoi était un joli film, mais il ressemblait à peu près à tout ce qui se faisait dans le cinéma américain indépendant des années 1990, d'ailleurs Dagur Kari par la suite n'avait plus rien fait d'aussi convaincant.
Le reste de la cinématographie islandaise est globalement sans personnalité, malgré quelques films attachants que j'ai vus quand je vivais là-bas (Angels of the universe, Children of nature, 101 Reykjavik...). Il y a deux tendances dans le cinéma islandais : l'une est tournée vers l'export et filme en grand angle des acteurs en pulls traditionnels en train de manger du poisson séché au milieu de paysages sans matérialité, l'autre est plus sociale ou sociétale, généralement centrée sur la vie à Reykjavik, sortant très peu de la ville pour ne pas tomber dans le cliché de l'île aux paysages grandioses, où il est si facile de tout résoudre par un plan sur un ciel fou ou une montagne multicolore.
Hlynur Palmason ne fait ni l'un ni l'autre. Il se passe du grand angle et des pulls, mais il inscrit ses récits dans le paysage, sans renoncer à leur dimension extraordinaire, sans chercher à les banaliser. Il montre ce que font les montagnes, les volcans et la pluie à ses personnages. La nature joue un rôle en soi. Le cadre est presque carré, mais pas pour dissimuler l'espace et centrer sur l'humain. Non, le cadre est carré parce que le monde est rond, et c'est comme ça. L'image, dans Godland (comme dans les deux premiers films du cinéaste), s'impose avec une sorte d'évidence esthétique, déraisonnable mais indiscutable, mue par une quête de la beauté qui s'appuie sur l'écoute du temps.
Hlynur Palmason ne fait pas du cinéma comme tout le monde (je craignais pourtant que le film en costumes ne le raidisse ou ne lui donne une sorte d'aplomb culturel qui lui aurait fait oublier l'essentiel). Le tournage de Godland s'est déroulé sur huit années, par épisodes. Le cinéaste tourne tout le temps et ça se voit. Il choisit des lieux pour tourner, mais il tourne aussi chez lui, dans les environs. Il a une pratique quotidienne du cinéma. Le temps passe dans ses films, en même temps qu'une certaine vitalité. Le temps est un enjeu de la conduite du récit. Aussi voit-on la carcasse d'un cheval mort se décomposer et disparaître au fil des saisons. Mais aussi une église se construire planche après planche. Et une jeune fille passer du piano de la maison à l'orgue de l'église en un simple petit raccord étonnant, marquant l'ellipse dans la continuité du motif.
On dirait la pratique du cinéma documentaire appliquée à la fiction. A un moment du film, un volcan entre en éruption. C'est le Fagradalsfjall, qui a érupté en mars 2021, et dont les coulées de lave ont rejoint l'étrange récit de Godland, trouvant naturellement leur place en son sein. Le film est ouvert à ce qui vient. Si le cinéma devient une pratique quotidienne, alors les jours et leurs nombreux détails y seront accueillis, et les fictions elles-mêmes changeront, se décentrant des récits et des drames pour observer la vie qui les soutiennent (comme le cinéma expérimental à la première personne nous l'apprend depuis 50 ans désormais : on ne voit pas la même chose chez Mekas, Brakhage ou Pauwels que chez les autres).
Mais Palmason n'est pas seulement bon par insistance, ni parce qu'il a le génie des collures - il sait aussi magnifiquement donner du corps, du rythme et de l'intérêt à une scène de fête autour d'un bâtiment sans toit, à un repas aux enjeux multiples, à une rencontre entre un prêtre et une petite fille qui ne fait rien comme tout le monde elle non plus, sans céder aux discours et aux caractérisations trop faciles. On y voit des chevaux inquiets traverser des rivières (il y a un peu de Herzog dans ce cinéma), un homme qui a peint en blanc le visage de tous ceux qu'il a croisés sur son chemin se retrouver le visage noir, des gens se battre et d'autres s'accorder pour un temps. Il y est question de religion et de domination danoise. Mais on y voit aussi une sorte de scarabée passer sous trois fourchettes puis sous trois couteaux, et un ver de terre rose et vert se trémousser dans une bouse.
Bref, c'est un grand film, peut-être le premier grand film islandais, et c'est déjà l'occasion de se réjouir. Ce pays si beau a trouvé un cinéaste qui arrive à en donner la mesure. Je pense tout de même que Hlynur Palmason pourrait faire quelque chose d'encore un peu moins raide un jour (s'il se débarrassait de ses histoires de haine à froid qui sentent un peu trop fort le cliché scandinave, ce serait pas mal), mais celui-ci est déjà chargé de mille choses exaltantes qui relèvent de l'exception. Grand bonheur.
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
mer. 21 déc. 2022 10:40

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How to save a dead friend, Marusya Syroechkovskaya

Présenté à Cannes l'année dernière mais sorti seulement sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/095124-00 ... ad-friend/

La réalisatrice a seize ans quand le film commence. Elle vit à Moscou. Ses amis se suicident les uns après les autres. Elle-même a déjà fait quelques tentatives. Elle décide de mourir pour de bon avant ses 17 ans. Mais sur un forum grunge, elle rencontre un garçon aussi déprimé qu'elle et qui la fait rire malgré tout, avec qui elle découvre Kurt Cobain, Joy Division... Elle passe tout son temps avec lui. Cette rencontre la sauve. Il y a toujours quelqu'un quand une crise la saisit. Elle pleure, il est là. Elle se marie avec lui. les adoptent des chats. Ils vivent dans de grandes barres d'immeubles en périphérie de Moscou. Ils surnomment la Russie "la Fédération de la Déprime". Et les Russes : "les tristes".
Alors qu'elle sort peu à peu de sa dépression, elle trouve quelque chose qui la passionne : une caméra. Lui, son grand frère sort de prison, et il découvre la drogue. Elle en prend aussi un peu, mais toujours moins que lui. Un jour, elle se rend compte qu'il est devenu un junkie. Elle ne peut plus vivre avec lui, elle divorce, mais continue de le filmer. Elle sait très bien ce qu'est une dépression. Avec sa caméra, elle regarde l'homme qu'elle aime s'y enfoncer, s'y perdre. Son visage et son corps changent, ses mouvements s'altèrent. Elle lui rend visite à l'hôpital psychiatrique ou chez sa mère. Elle l'accompagne chez le médecin pour qu'il demande un statut spécial. Elle tente aussi de vivre loin de lui, mais il lui manque. Il pleure, il parle en toute confiance, il lui parle alors même qu'il sait qu'il l'a perdue, même si elle vient encore le voir. Un jour il saute d'un pont alors que le niveau de l'eau est bien trop bas. Il lui avait demandé de le filmer, elle a refusé. Il a trouvé quelqu'un d'autre pour immortaliser le moment. Elle place la scène dans le film qu'elle fait sur lui. La scène qu'elle ne voulait vraiment pas voir. L'auto-destruction sans limite désormais. Il fait des overdoses. Un jour il en fait une en trop, et il meurt.
Le film est terrible, bouleversant. La cinéaste nous plonge dans le désespoir de son ami, et dans son impuissance à elle aussi, qui assiste à ça sans pouvoir le rattraper, sans parvenir à le sauver alors que c'est ce qu'il a fait pour elle. La drogue est toujours plus forte qu'elle. Plus forte que sa présence auprès de lui. C'est le plus déchirant : l'inégalité radicale de la relation, l'injustice d'être celle qui filme et pas celui qui meurt alors qu'elle a tant désir mourir elle-même. Mais elle a trouvé le cinéma sur sa route. Une raison d'être au monde malgré tout. Avec cette acuité particulière qu'elle a et qu'elle aura toujours pour le désespoir.
L'ensemble est mêlé d'images de manifestations et des discours de Poutine à la télévision. La violence et la bêtise. Je crois qu'on verra ce film dans 20 ou 30 ans comme le témoignage le plus implacable sur ce qu'a vécu la jeunesse russe du temps du règne de Poutine. L'hypothèse de la cinéaste est que la dépression qu'elle a vécue et celle de son ami sont des dépressions nationales, politiques, induites par le pays lui-même. Et tous les morts qu'elle a connus sont morts parce que l'Etat ne souhaitait pas qu'ils survivent. Elle n'est pas dupe : elle ne cache pas la drogue, les histoires familiales complexes, mais elle ne cache pas non plus ce que Poutine a fait aux gens.
Le film souffre un petit peu du fait que la cinéaste ne l'était pas encore tout à fait (cinéaste) au début de sa relation amoureuse. Il manque quelques images, quelques scènes au début qui aurait donné un peu d'épaisseur et de vie aux premières minutes, qui ressemblent plus à un photomontage qu'à un documentaire. Le cinéma vient peu à peu. En cours de route. Quand c'est déjà trop tard finalement. C'est magnifique d'assister à cette naissance, et pourtant c'est absolument trop tard.

Je trouve aussi le film poignant et le montage, notamment, très inspiré. Et il me semble, très moderne. Je suis moins dubitatif que toi quant à la première partie, qui me semble extrêmement vivante et souvent pleine d'humour (le power-point amoureux avec les fonds roses et débiles m'a beaucoup fait rire et m'a beaucoup ému).
Et puis, peu à peu, tout s'assombrit, et en même temps le lien entre Maroussia et Kimi se transfigure, est de plus en plus fort. Quelques plans me paraissent géniaux : ceux où Maroussia touche des photos de son ami sur une tablette qui produit de la musique ; leurs mains qui se touchent toujours en bordure de cadre, discrètement ; et les plans aux drones (qu'habituellement je déteste) sur les barres d'immeuble de la banlieue de Moscou. On sent que ces images préexistent à leur fabrication. On sent que ces immeubles ont été vus, qu'ils racontent quelque chose (d'ailleurs elle dit un instant un truc d'une poésie folle : quand on fixe l'immeuble d'en face avec insistance, Kimi et moi voyons le reflet de notre couple, dans la vie parallèle que nous aurions pu mener). Il ne reste de Kimi que des pixels, dit-elle. Mais il y a toujours les immeubles en face. J'étais sur qu'elle ferait quelque chose de tous ces pixels et de ces immeubles à la fin du film, et ça finit par arriver, quand les HLM s'ouvrent et se distordent en image de synthèse. Les pixels, les mains qui se joignent et les immeubles : voilà les arcs principaux d'un film très politique et très émouvant, un peu comme si Pialat refaisait L'amour existe avec les outils de 2022. Magnifique.

Et tu donnes envie pour Godland, je pensais faire l'impasse parce que j'avais peur d'un truc un peu trop malickien pour moi mais je vais y aller, du coup.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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cyborg
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Ha tiens, interessant pour Godland ! Je n'avais rien entendu à son sujet mais il semblait plutôt bien distribué. Le titre et l'affiche ne me mettaient pas en confiance mais toi oui ;)


J'avais oublié de dire que j'avais vu ça l'autre jour :

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Liquid Sky - Slava Tsukerman - 1982

Une bande d'astro-punks lookés comme des groupies de Ziggy Stardust passant son temps à se défoncer et à faire la fête se retrouve sous la menace d'une étrange vie extraterrestre qui s'est posé sur le toit de leur immeuble. Celle-ci se nourrit du cocktail d'hormone libéré par l'orgasme, qui s'avère être la même que lors d'une injection d'héroïne... Rapidement se mêle à l'histoire un chercheur d'astro-physique d'Allemagne de l'Ouest enquêtant sur les vies extraterrestres, emménageant pile en face de notre petite bande et bien décidé à protéger nos chers junkies.
Très ambitieux par son esthétique et ses recherches plastiques, non dénué d'un certain sens de l'ambiance, le film pèche malheureusement totalement par tous les autres aspects et de vite virer série B : jeu d'acteur, scénario, dialogues... Les 2h du long métrages sont ainsi particulièrement longues et pénibles et finissent par devenir risibles.


Depuis mon dernier post j'ai vu

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Bien que les films n'aient rien à voir, je n'ai pu m’empêcher de penser à Taxi (de Luc Besson) durant le visionnage de Nenette et Boni. Paru à un an d'intervalle, les deux films -l'un immense succès populaire, l'autre confidentiel- incarnent les deux extrêmes de la création cinématographique contemporaine. La comparaison des deux films pourrait presque servir de cas d'école tant tout les distingue dans la représentation d'un même territoire et d'une même tranche d'âge. J'y vois aussi tout un trajet personnel et intime car Taxi (et ses premières suites) sorti à mes 10 ans, a bercé la fin de mon enfance et je serai bien en mal de les revoir aujourd'hui, tandis que Nenette et Boni, bien qu'imparfait, m'enthousiasme et me stimule beaucoup.

Le film s'ouvre sur une curieuse scène durant laquelle un homme tente de vendre des cartes téléphoniques, supposément légales, à un groupe de pauvres gens. Dans la suite du film on comprend en quelques secondes comment sont faites et dérobés ces cartes, puis enfin quelques minutes plus tard, par une conversation téléphonique, nous entendons une personne se plaindre à France Telecom : non elle n'a jamais appelé des dizaines de fois vers le Vietnam ce mois-ci... L'ensemble de ces scènes ne doit pas excéder les deux minutes et n'ont aucun lien avec l'intrigue principale. Leur inclusion me semble néanmoins clé du film -si ce n'est de toute l’œuvre de la cinéaste- venant souligner l'aspect potentiellement frauduleux, faux, détourné, dérouté et potentiellement incompréhensible de toute communication.

Comme à son habitude, Denis procède par touches, par ouvertures et par zones de sensibilités pour narrer l'histoire d'un frère et sa sœur à la dérive trouvant refuge dans le domicile familial abandonné, confronté à la grossesse de l'une et aux galères et fantasmes quotidiens de l'autre. Les scènes de rêve se mélangent avec la réalité dans une tonalité générale très éthérée et pourtant régulièrement sensible (la place de l'eau) et incarnée, parfois de façon plus ou moins heureuse (tout ce qui tourne autour de la boulangère et de Vincent - fuckin'- Gallo n'étant pas des plus réussi). Ici chaque rêve, chaque parole ou désir semble avoir des répercussions dans le réel, toujours de façon éloignée et indirecte, tel ce fusil manipulé par le fils qui se rêve parricide tout en visant le chat du quartier, tandis que son père mafieux sera exécuté sommairement par des bandits quelques instants plus tard. Denis semble nous dire de nous méfier de ce que nous désirons (nous pourrions bien l'obtenir) ou de ce que les autres désirent pour nous (ils pourraient bien réussir à nous l'imposer). Tel cet enfant, non voulu mais moteur du film, que l'on découvre trop tardivement et finira par naitre sous X avant d'être (virtuellement ?) arraché in-extremis par un frère puceau (ou du moins incapable de séduire la boulangère -figure maternelle- de son quartier). L'étrangeté de ces échanges et liens fait ainsi planer sur le film le soupçon d'inceste, non pas tant par le père que par le frère lui même. Sujet tabou et incommunicable, il est lui aussi un des fils rouge du travail de Claire Denis qui, en 2020, partira au fin fond de l'espace (High Life) pour aborder de façon très détourné ce même thème en convoquant reproduction et mise à distance technologique aboutissant à un final particulièrement troublant. Plus sobre et plus simple, Nenette et Boni, n'en dégagera pas moins un sentiment d'inconfort et de fascinante étrangeté.


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Dernier film du réalisateur, Le goût du saké est le dernier coup d'éclat d'Ozu, jetant un regard rétrospectif, inquiet et craintif, sur un japon nouveau et désormais pleinement entré dans la modernité au début des années 60. La guerre, perdue il y a plus de 15 ans, n'est plus qu'un lointain souvenir, un hymne qu'on fredonne ivre, et dont on peine à identifier les conséquences positives et négatives. Plus encore que s'attarder sur des questions sociales et culturelles, Le goût du saké dresse le portrait d'un vieil homme peinant à accepter le temps qui passe et l'évolution des générations et de sa propre condition. Si le film se compose essentiellement de discussions entre de vieux hommes soucieux de ce qu'ils vont laisser derrière eux, ceux-ci sont sans cesse confrontés à différentes époques de leurs vies et à ceux qui les ont constitués (le vieux professeur d'un côté, leurs enfants -et surtout leurs filles- de l'autre) Si la vision du film 60 ans plus tard laisse surtout voir la puissance patriarcale du japon d'alors, Ozu laisse néanmoins apparaitre l'évolution de la place de la femme dans la société, toujours par petites touches et brefs échanges, et la disparition en cours d'un ordre ancien : le sien.


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Si il y a bien une qualité que l'on peut attribuer à Alain Resnais c'est celle d'avoir toujours chercher à se réinventer, à pousser ses questionnements et recherches sur son medium et ses façon d'explorer la narration. La Vie Est Un Roman semble être un vague hommage à Demy, taquinant doucement la comédie musicale et entremêlant trois narrations et trois époques dans le même lieu : un château décadent construit par un homme richissime au début du XXème siècle. Mais nous sommes déjà sur la pente descendante de la carrière du réalisateur (Mon Oncle d'Amérique, son film précédent avec le même scénariste, à l'air plus intéressant, bien que je ne l'ai pas vu) et le résultat est un film laborieux, fastidieux, et surtout un peu vain. Dispensable.
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asketoner
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:love2: !!

Oui tu as raison, je crois que je reste très hermétique au powerpoint, question de génération...
Par contre, j'ai adoré (mais alors adoré à un point fou) quand elle passe ses doigts sur l'image de son ami et que ça produit de la musique. J'aurais pu regarder ça pendant des heures. C'est tellement terrible... Et les barres d'immeubles au drone, pareil. En fait, elle nous montre comment on fait du cinéma quand on a une caméra à 20 ans, sans s'occuper de la façon dont ça doit se faire. C'est ça qui est superbe.

Pour le Palmason, je ne l'ai pas dit mais effectivement on pense à Mallick - et on voit la très grande différence entre les deux. Mallick est tout de suite dans l'élégie, quand Palmason est dans la relation, et parfois dans la vision (plutôt Herzog, donc, que Mallick).
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
sam. 24 déc. 2022 15:12
:love2: !!

Oui tu as raison, je crois que je reste très hermétique au powerpoint, question de génération...
Par contre, j'ai adoré (mais alors adoré à un point fou) quand elle passe ses doigts sur l'image de son ami et que ça produit de la musique. J'aurais pu regarder ça pendant des heures. C'est tellement terrible... Et les barres d'immeubles au drone, pareil. En fait, elle nous montre comment on fait du cinéma quand on a une caméra à 20 ans, sans s'occuper de la façon dont ça doit se faire. C'est ça qui est superbe.

Pour le Palmason, je ne l'ai pas dit mais effectivement on pense à Mallick - et on voit la très grande différence entre les deux. Mallick est tout de suite dans l'élégie, quand Palmason est dans la relation, et parfois dans la vision (plutôt Herzog, donc, que Mallick).
On a ressenti la même chose avec cette tablette musicale et ces immeubles !! Je me suis dit qu'il fallait un jour faire une rétrospective barres d'immeubles au cinéma. C'est souvent émouvant, et c'est souvent un truc qu'on voit chez les jeunes cinéastes.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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cyborg
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En parlant de film islandais @asketoner , as tu vu "quand nous étions sorcière" que j'ai vu en novembre (sans trop l'aimer) et qui est encore sur le Replay d'Arte, il me semble... ?
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asketoner
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cyborg a écrit :
lun. 26 déc. 2022 18:50
En parlant de film islandais @asketoner , as tu vu "quand nous étions sorcière" que j'ai vu en novembre (sans trop l'aimer) et qui est encore sur le Replay d'Arte, il me semble... ?
Oui, je suis d'accord avec toi, c'est un peu chiant. Il est sorti en salles l'année dernière je crois.
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Quatre Chemins, Alice Rohrwacher, 2020

Il n'y a que les très grands cinéastes qui peuvent faire des films si simples.
Alice Rohrwacher, pendant le confinement, décide d'utiliser une vieille caméra et quelques bobines périmées pour aller filmer ses voisins. Les saluer, leur faire un signe de la main, et dire deux ou trois choses qu'elle admire chez eux.
En 7 minutes, l'émotion est là, immense, limpide. L'émotion de la présence. Et celle de se présenter à l'autre. En un lieu, en un temps.

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Le Pupille, Alice Rohrwacher, 2022

Ca, par contre, c'est beaucoup moins intéressant. Et pourtant, cette cinéaste a la grâce. Quelques plans éblouissent. Quelques idées d'une ingénuité et d'une douceur folles (la narration chantée par les enfants, les yeux qui clignent même lorsqu'on les dessine). Mais le film se perd dans trop de directions différentes pour une durée si réduite (30 minutes). L'histoire principale semble mal taillée, on ne la distingue pas des à-côtés. (Et parmi les à-côtés, Valeria Bruni-Tedeschi expliquant que son compagnon est une brute, enfin non, enfin si quand même... Ca fait bizarre de la revoir déjà. J'ai été incapable de croire à son personnage.)
Le film a été réalisé pour Disney. Je ne sais pas si c'est une commande ou bien réellement le désir d'Alice Rohrwacher. Il était plutôt évident qu'elle aurait des choses à montrer aux enfants. Mais est-ce le format, les directives de la plateforme, la méthode de fabrication sans doute radicalement différente de celle du cinéma ? En tout cas, elle n'y arrive pas si bien que ça. Le film semble mal préparé.

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A Short story, Bi Gan, 2020

Attention, transformation imminente en Luc Besson ! J'espère me tromper, mais franchement ce court-métrage est inquiétant.
Qu'est-ce que j'avais aimé Kaili Blues pourtant...

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Nest, Hlynur Palmason, 2022

Un même lieu à travers le temps. Une sorte de grand poteau, qu'on tronçonne, au sommet duquel on pose une nacelle, sur laquelle on construit une cabane, qu'on harnache à l'aide de cordes, peu à peu, à travers les saisons. Et les enfants y viennent, y jouent, travaillent, construisent, améliorent, le délaissent s'il fait trop froid... Les oiseaux en font leur refuge quand tout est enneigé. Et parfois on voit la mer au loin, et les montagnes de l'autre côté du fjord, et parfois pas, l'air est trop épais, chargé de brume, de vent. Le ciel est rouge, jaune, vert, traversé par des oies. Et un jour, il y a un accident.
On dirait un film de James Benning, un peu plus électrique peut-être, plus intime en tout cas. Il semble assez évident que Hlynur Palmason filme ses propres enfants. Il les regarde grandir, sans jamais intervenir. On se demande où se trouve la caméra, depuis où elle regarde... Depuis la maison sans doute. Alors le cinéaste est en train de regarder ses enfants construire une autre maison, partir déjà un peu, s'aventurer dans le monde, faire leur vie. A quoi ça ressemble, "faire la vie" ? A ça, à ces journées à tourner autour d'un poteau, à le rêver, à imaginer ce qu'on pourrait y faire, tout mettre en oeuvre pour y parvenir, échouer parfois, et passer du temps perché sur un rêve en chantier permanent.
On prend toute la mesure de la fragilité des lieux, de ce qu'on vient y déposer, nous, humains, avant de les quitter. Ces abris, ces cabanes, ces constructions qui se font toujours contre (le mauvais temps, l'ennui, l'errance, le regard). Et pour (voir, vivre, appartenir, jouer).
Encore une fois un film fait-maison, comme l'est Godland à mon avis, sans le petit masque de la fiction historique cette fois-ci. Un film qui avance à découvert, tout simplement, et qui confirme l'intérêt que suscite pour moi ce cinéaste.
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Tamponn Destartinn
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Je sors du covid + fêtes de noel, m'empêchant d'aller au cinéma
hâte d'y retourner voir les deux ou trois priorités pour clore 2022
en attendant :

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Moins énervant que Bac Nord mais plus anecdotique et vite vu vite oublié. Vaut il mieux un point de vue dégueulasse qu'un point de vue inexistant ? La colère ou l'indifférence ?

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100% pour moi sur le papier mais 80% déçu.
Disons que si j'aime toutes les références, bd (Macherot est plébicité, mais ça a surtout un ton à la Tif et Tondu ou Gil Jourdan) comme cinéma (Hitchcock en tête), le film n'est à la hauteur d'aucune.

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Comme le premier, c'est bonne ambiance et malin dans son renouvellement du Whodunit. Mais aussi assez moche et trop long pour ce que c'est.
Très bon film du dimanche soir, quoiqu'il en soit, avec en bonus un sous texte anticapitaliste (comme le 1er) qui n'invente pas la poudre, mais qui sonne sincère et rend ce film grand public encore plus sympathique
Avec une question : un bon Whodunit doit-il être forcément surprenant lors de sa révélation finale ? Autant le premier m'avait baladé, autant cette fois j'ai deviné avant, mais sans trouvé cela mal écrit pour autant. Dans tous les cas, c'est satisfaisant.

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Ce n'est pas aussi nul que ce que l'on pourrait penser, mais c'est aussi dispensable que ce que l'on pourrait penser.
Modifié en dernier par Tamponn Destartinn le mer. 28 déc. 2022 13:44, modifié 2 fois.
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groil_groil
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:hello:

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Chef-d'oeuvre. Le plus beau film de l'année, même s'il ne sortira chez nous effectivement que l'an prochain. C'est le film de Spielberg le plus personnel depuis ET (et il l'est encore plus qu'ET) et les deux se mettent en relation de manière merveilleuse. C'est d'ailleurs un film qui éclaire au projecteur l'ensemble de l'oeuvre du cinéaste, lui donnant beaucoup de profondeur. Et ça faisait très longtemps que je n'avais pas vu un film qui parlait aussi bien et de manière aussi pertinente de ce qu'est vraiment, profondément, viscéralement le cinéma. En cela c'est un grand film théorique et le plus grand film théorique du cinéaste (plus encore que Catch me if you can). Et la scène avec David Lynch est l'apothéose de cette lecture-là, mais c'est aussi pour moi la plus belle scène du film et de l'année. Bref, chef-d'oeuvre total et inépuisable.

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Clément + Japrisot ça peut être prometteur sur le papier mais au résultat c'est nul, pas loin d'être affligeant tant c'est rempli d'afféteries insupportables. Le film s'ouvre comme son titre l'indique comme une grande course, mais ça devient statique au bout de 10mn et pour 2h30 interminables, sans parler du fait que le personnage est plutôt moralement condamnable sans que ce ne soit jamais abordé frontalement et que les acteurs cabotinent atrocement.

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Mouaif... un film digne de son époque malade. Où comment raconter une histoire simple en essayant de prendre la pose. On dirait un peu un gars qui essaie d'imiter Lanthimos, mais qui n'a finalement même pas le courage d'essayer de choquer le bourgeois.

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Le film "cadeaux de Noël", le truc dont t'as rien à foutre et que tu balances pendant que tu fais tous les cadeaux de Noël et que tu ne suis que d'un oeil très distrait. Il a parfaitement rempli sa fonction.

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Revu dans la foulée et encore préféré le second coup.

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Purée il emmène à la campagne le père Rossellini, quand tu vois ça tu réalises qu'il est vraiment, avec deux trois autres, au-dessus de la mêlée. Film magnifique, incroyable de dureté, et à la beauté plastique renversante, aidée certes par son actrice et son île, toutes deux renversantes de beauté aride.

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Voulu le revoir car beaucoup de mes connaissances l'estiment. In fine c'est une sorte de mix entre le film de genre et le nanar en moule burnes. Mais le récit est peut-être un peu mieux géré que dans mon souvenir, Milius connait son job.

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Doc sur E.T. et son importance tout aussi bien dans l'oeuvre du cinéaste que dans l'industrie du marketing cinématographique, très agréablement réalisé, avec beaucoup d'archives, et qu'il est vraiment judicieux de voir juste après The Fablemans : oui le cinéaste qui est ici interviewé dans ces nombreuses interviews d'époque est le même que l'acteur qui rêve de devenir cinéaste. Disons que ce doc contribue à rendre The Fablemans encore plus réel.

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Ulmer + Mature + Hannibal, ça promet un beau péplum, mais en réalité c'est un immonde navet où tout sonne faux, tout est toc, c'en devient odieux tellement c'est raté et WTF. Un exemple du genre. Même Mature semble avoir les yeux injectés de cocaïne et ne pas comprendre ce qu'il fout là.

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Enfin pu revoir le film dans la perspective d'enfin aller voir le second (j'ai trouvé un créneau en début d'année). Vu avec mon fils qui a flippé au début et était paumé, car le concept n'est pas évident à capter pour un enfant. Mais il est finalement rentré dedans et je crois a pas mal vibré sur toute la seconde partie du film. Moi j'ai été saisi par plusieurs trucs : par la qualité purement technique de l'ensemble, toujours incroyable aujourd'hui, par la laideur de l'esthétique générale, mais qui finit malgré tout (comme lors de ma première fois en salle) par l'emporter tant le cinéaste croit en son truc et parvient à faire 'monde' de tout cela, et surtout par la puissance de la mise en scène (on est bien chez Cameron) qui malgré un scénario d'apparence simpliste, parvient à y mettre toutes ses obsessions et à offrir un truc qui a du sens. Je suis donc curieux d'aller voir le second film.
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asketoner a écrit :
mar. 27 déc. 2022 10:55


A Short story, Bi Gan, 2020

Attention, transformation imminente en Luc Besson ! J'espère me tromper, mais franchement ce court-métrage est inquiétant.
Qu'est-ce que j'avais aimé Kaili Blues pourtant...
A mon opinion, Bi Gan sera définitivement irrécupérable. Son deuxième (2018) était déjà du pur Luc Besson. Conclusion : Kaili Blues (merveille, bien sur : je l'ai revu en plus) était juste un heureux hasard
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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groil_groil a écrit :
mer. 28 déc. 2022 10:16

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Purée il emmène à la campagne le père Rossellini, quand tu vois ça tu réalises qu'il est vraiment, avec deux trois autres, au-dessus de la mêlée. Film magnifique, incroyable de dureté, et à la beauté plastique renversante, aidée certes par son actrice et son île, toutes deux renversantes de beauté aride.
Tu ne l'avais jamais vu ?
Merveille, bien évidemment. Rossellini, très souvent, c'était quelques chose (pour que Godard se pliait devant lui, c'est que... ).
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