Le Cercle des profileurs disparus
Posté : mer. 17 nov. 2021 23:13
EL a aimé Affamés (3,5 étoiles) :
Il était temps ! Attendu pour avril 2020, Affamés aura mis plus d'un an et demi à nous parvenir, la faute, bien sûr, à une certaine pandémie. Et pourtant, la réputation bâtie par son réalisateur Scott Cooper, plus convoité que jamais au sortir du sublime western classique Hostiles, a suffi à préserver l'excitation autour de ce film d'épouvante avec Keri Russell et Jesse Plemons, produit par Guillermo del Toro. Quoique, cette aura pourrait se retourner contre lui.
CHÔMAGE MONSTRE
Dans le collimateur des amoureux de fantastique grâce à l'implication de Guillermo del Toro, longtemps fantasmé par les admirateurs de Scott Cooper, ralliés à sa cause depuis Crazy Heart, Les Brasiers de la Colère ou évidemment Hostiles, Antlers (titre original) n'a pas séduit tous ses publics à l'issue de ses projections américaines. Si les premiers spectateurs étaient pour la plupart ravis, les seconds, inconditionnels du cinéaste, en sont sortis déçus, eux qui voyaient dans les bribes de scénario révélées un détournement habile des codes horrifiques.
En effet, l'intrigue se déroule en Oregon, au coeur d'une bourgade sinistrée, dévastée par l'agonie de l'industrie dont elle dépendait. C'est dans un monde où se morfond une population gangrénée par la pauvreté et la toxicomanie qui va avec que Julia (impeccable Keri Russel) et son frère Paul (Jesse Plemons, toujours aussi impressionnant) enquêtent sur les blessures d'un enfant taiseux. Les thèmes développés par Nick Antosca dans sa nouvelle, adaptée par Cooper et Henry Chaisson, semblaient s'accorder parfaitement à la vision d'un cinéaste qui ausculte à travers le 7e art de petites fractions des États-Unis.
C'est oublier que le metteur en scène n'omet jamais d'embrasser avant tout un genre. Lorsqu'Hostiles évoquait avec beaucoup de sensibilité la face sombre de la conquête de l'Ouest, c'était à l'occasion d'un retour aux sources du western. Fier, il assumait ses relents fordiens perdus au milieu d'une culture populaire se repaissant encore des restes stylistiques et des excès de violence pop du western spaghetti.
La réaffirmation quasi chirurgicale du genre, c'est exactement l'objectif d'Affamés qui, entre deux productions post-Conjuring de plus en plus empêtrées dans des formules interchangeables et détachées des peurs contemporaines, revient à un geste cinématographique beaucoup plus épuré, soigné et intime.
Forcément, la métaphore filée ne fait pas dans la subtilité et les personnages se dévoilent de manière très mécanique. Mais ils permettent surtout au long-métrage de viser une expérience horrifique dépouillée, une expérience qui représente très littéralement le mal d'une époque - en l'occurrence ici d'un lieu - et enserre son spectateur dans des nappes de malaise, lesquelles peuvent abriter des visions cauchemardesques révélatrices des monstres se terrant dans les entrailles humaines. Ni train fantôme vide de sens ni film à thèse envahissant, Antlers met le contexte social au service de l'horreur et pas l'inverse. D'où sa réception, elle aussi calée dans un entre-deux.
SCOTT FAIT BEAUCOUP PEUR
À travers cet exercice, il parvient à toucher du doigt une viscéralité qui se révélera être justement liée aux thématiques de Hostiles. L'horreur se dégageant du film provient avant tout des surcouches de noirceur sur lesquelles s'est construite cette petite parcelle de société. Elle s'immisce au moment où les strates de vernis se craquèlent et infectent les innocents, ici représentés par le personnage de Lucas, interprété par la véritable révélation du casting : le jeune comédien Jeremy Thomas, dirigé à la perfection dans un rôle extrêmement complexe pour son âge.
Cette idée d'une épouvante en embuscade, qui se terre, Cooper et ses co-scénaristes la développent explicitement dès la sublime scène d'introduction. Une note d'attention absolument glaçante où les ténèbres d'un sol américain trop longtemps souillé par l'industrie et ses conséquences envahissent le cadre. Trêve de sursauts artificiels : le cinéaste mise tout sur l'atmosphère de sa ville rongée de l'intérieur, terreau fertile pour quelques visions d'horreur remarquablement dévoilées et de rares éruptions de violence spectaculaires.
À force de petits travellings inquiétants et de plans rigides laissant au hors champ son mystère, il cherche surtout à capter l'émergence d'un monstre, et toutes ses étapes. Et malgré le rythme binaire de la première partie, la dévotion de sa mise en scène s'avère très rafraichissante. En faisant glisser progressivement les thématiques sociales de son récit en arrière-plan, il traite sa bestiole en devenir avec un soin tout particulier.
Le matériel promotionnel a eu le bon goût de ne rien révéler des derniers actes et tant mieux. Ces ultimes minutes, magnifiées par des effets spéciaux non seulement solides, mais également éclairées avec ingéniosité accomplissent l'objectif du film : un retour à une forme de franchise horrifique, thématiquement et esthétiquement.
Peu étonnant qu'il se soit attiré la bienveillance de del Toro, admirateur des monstres devant l'éternel : Antlers se voue corps et âme à ses amours monstrueux, prolonge son interprétation des créatures fantastiques, rattachées pour le meilleur ou pour le pire aux parias de notre monde, quitte à laisser transparaitre quelques défauts (une écriture très artificielle) et à irriter une partie de son public. Comme beaucoup des productions du maître, Affamés ne révolutionne rien, mais arbore la sincérité nécessaire à une reconnaissance par les amateurs du genre. Et ça lui suffit amplement.
Au risque de décontenancer, Affamés met son passionnant contexte au service de l'horreur plutôt que l'inverse. En résultent un très beau film de monstre et un modeste retour aux sources horrifique.
https://www.ecranlarge.com/films/critiq ... 1637166149
Il était temps ! Attendu pour avril 2020, Affamés aura mis plus d'un an et demi à nous parvenir, la faute, bien sûr, à une certaine pandémie. Et pourtant, la réputation bâtie par son réalisateur Scott Cooper, plus convoité que jamais au sortir du sublime western classique Hostiles, a suffi à préserver l'excitation autour de ce film d'épouvante avec Keri Russell et Jesse Plemons, produit par Guillermo del Toro. Quoique, cette aura pourrait se retourner contre lui.
CHÔMAGE MONSTRE
Dans le collimateur des amoureux de fantastique grâce à l'implication de Guillermo del Toro, longtemps fantasmé par les admirateurs de Scott Cooper, ralliés à sa cause depuis Crazy Heart, Les Brasiers de la Colère ou évidemment Hostiles, Antlers (titre original) n'a pas séduit tous ses publics à l'issue de ses projections américaines. Si les premiers spectateurs étaient pour la plupart ravis, les seconds, inconditionnels du cinéaste, en sont sortis déçus, eux qui voyaient dans les bribes de scénario révélées un détournement habile des codes horrifiques.
En effet, l'intrigue se déroule en Oregon, au coeur d'une bourgade sinistrée, dévastée par l'agonie de l'industrie dont elle dépendait. C'est dans un monde où se morfond une population gangrénée par la pauvreté et la toxicomanie qui va avec que Julia (impeccable Keri Russel) et son frère Paul (Jesse Plemons, toujours aussi impressionnant) enquêtent sur les blessures d'un enfant taiseux. Les thèmes développés par Nick Antosca dans sa nouvelle, adaptée par Cooper et Henry Chaisson, semblaient s'accorder parfaitement à la vision d'un cinéaste qui ausculte à travers le 7e art de petites fractions des États-Unis.
C'est oublier que le metteur en scène n'omet jamais d'embrasser avant tout un genre. Lorsqu'Hostiles évoquait avec beaucoup de sensibilité la face sombre de la conquête de l'Ouest, c'était à l'occasion d'un retour aux sources du western. Fier, il assumait ses relents fordiens perdus au milieu d'une culture populaire se repaissant encore des restes stylistiques et des excès de violence pop du western spaghetti.
La réaffirmation quasi chirurgicale du genre, c'est exactement l'objectif d'Affamés qui, entre deux productions post-Conjuring de plus en plus empêtrées dans des formules interchangeables et détachées des peurs contemporaines, revient à un geste cinématographique beaucoup plus épuré, soigné et intime.
Forcément, la métaphore filée ne fait pas dans la subtilité et les personnages se dévoilent de manière très mécanique. Mais ils permettent surtout au long-métrage de viser une expérience horrifique dépouillée, une expérience qui représente très littéralement le mal d'une époque - en l'occurrence ici d'un lieu - et enserre son spectateur dans des nappes de malaise, lesquelles peuvent abriter des visions cauchemardesques révélatrices des monstres se terrant dans les entrailles humaines. Ni train fantôme vide de sens ni film à thèse envahissant, Antlers met le contexte social au service de l'horreur et pas l'inverse. D'où sa réception, elle aussi calée dans un entre-deux.
SCOTT FAIT BEAUCOUP PEUR
À travers cet exercice, il parvient à toucher du doigt une viscéralité qui se révélera être justement liée aux thématiques de Hostiles. L'horreur se dégageant du film provient avant tout des surcouches de noirceur sur lesquelles s'est construite cette petite parcelle de société. Elle s'immisce au moment où les strates de vernis se craquèlent et infectent les innocents, ici représentés par le personnage de Lucas, interprété par la véritable révélation du casting : le jeune comédien Jeremy Thomas, dirigé à la perfection dans un rôle extrêmement complexe pour son âge.
Cette idée d'une épouvante en embuscade, qui se terre, Cooper et ses co-scénaristes la développent explicitement dès la sublime scène d'introduction. Une note d'attention absolument glaçante où les ténèbres d'un sol américain trop longtemps souillé par l'industrie et ses conséquences envahissent le cadre. Trêve de sursauts artificiels : le cinéaste mise tout sur l'atmosphère de sa ville rongée de l'intérieur, terreau fertile pour quelques visions d'horreur remarquablement dévoilées et de rares éruptions de violence spectaculaires.
À force de petits travellings inquiétants et de plans rigides laissant au hors champ son mystère, il cherche surtout à capter l'émergence d'un monstre, et toutes ses étapes. Et malgré le rythme binaire de la première partie, la dévotion de sa mise en scène s'avère très rafraichissante. En faisant glisser progressivement les thématiques sociales de son récit en arrière-plan, il traite sa bestiole en devenir avec un soin tout particulier.
Le matériel promotionnel a eu le bon goût de ne rien révéler des derniers actes et tant mieux. Ces ultimes minutes, magnifiées par des effets spéciaux non seulement solides, mais également éclairées avec ingéniosité accomplissent l'objectif du film : un retour à une forme de franchise horrifique, thématiquement et esthétiquement.
Peu étonnant qu'il se soit attiré la bienveillance de del Toro, admirateur des monstres devant l'éternel : Antlers se voue corps et âme à ses amours monstrueux, prolonge son interprétation des créatures fantastiques, rattachées pour le meilleur ou pour le pire aux parias de notre monde, quitte à laisser transparaitre quelques défauts (une écriture très artificielle) et à irriter une partie de son public. Comme beaucoup des productions du maître, Affamés ne révolutionne rien, mais arbore la sincérité nécessaire à une reconnaissance par les amateurs du genre. Et ça lui suffit amplement.
Au risque de décontenancer, Affamés met son passionnant contexte au service de l'horreur plutôt que l'inverse. En résultent un très beau film de monstre et un modeste retour aux sources horrifique.
https://www.ecranlarge.com/films/critiq ... 1637166149