A plein temps, Eric Gravel (2021)
J'ai plutôt aimé, cependant je suis également assez déçu. Déjà, j'ai lancé le film en m'accrochant à la fausse idée que l’intrigue n’était resserrée que sur une journée spécifique de la vie de l’héroïne, au cours des grèves de 2019, et que le cinéaste allait déployer toute sa mise en scène en filmant une réelle course contre la montre pendant laquelle le personnage de Laure Calamy (très convaincante) serait mis en scène faisant face aux aléas de la situation (suppressions des trains, des métros, bus bondés, marche et course à pied, tension généralisée) pour ne pas rater son rendez-vous professionnel tout en observant, au cours de cette journée, toute sa vie lui échapper petit à petit, chose que le film tente effectivement de montrer mais différemment (instabilité professionnelle, finances en berne, pension alimentaire qui n’arrive pas, enfants usés placés chez une nounou qui l'est encore plus, etc.).
Bref, je m’attendais à quelque chose de plus resserré dans le temps avec un sentiment d’urgence plus immédiat et en fin de compte le choix qui a été fait est tout autre dans la mesure où ce sentiment d’urgence, s’il est bien présent, est plus étalé dans le temps, sur plusieurs jours. Les choix de mise en scène du réalisateur ne sont donc pas aussi radicaux que ce à quoi je m’attendais et ça m’a un peu frustré dans la mesure où je pensais avoir affaire à une sorte d’
After Hours inversé, de jour et avec une dimension plus tragique, avec un récit ancré dans une problématique plus contemporaine. A ce titre d’ailleurs, tout ce qui ne concerne pas la situation professionnelle de l’héroïne, placée dans ce contexte social bien spécifique, est banal et insipide. Les moments d’accalmie ne créent pas grand chose et on a surtout l’impression qu’ils ne sont là que pour en rajouter une couche aux tourments du personnage de manière assez superficielle (exemple : le gosse qui se casse le bras) ou créer des sous-intrigues qui alourdissent inutilement le récit comme l’esquisse de
love story avec le jeune militaire retraité (Mais WTF ?! C'est complètement hors-sujet !).
Tout ça m’amène d’ailleurs à un autre problème : la durée du film qui est de 1h30. C’aurait été la durée idéale si le cinéaste avait privilégié la première option décrite ci-dessus, à savoir une journée entière dans la vie de l’héroïne, pendant les grèves, où on la voit en permanence en mouvement, luttant et se débattant pour parvenir à ne pas rater son rendez-vous. Le cinéaste aurait alors pu construire un film plus sec et rigoureux en optant pour une ligne plus claire ainsi qu’une certaine concision, en épurant au maximum son récit pour ne laisser place qu’à sa mise en scène. Chose qu’il ne fait pas dans la mesure où il empile tellement les sous-intrigues que celles-ci, en l’espace d’1h30, ne peuvent pas pleinement se déployer. Autrement, il aurait pu donner à voir plus de choses de ce contexte social en filmant plus d’interactions entre l’héroïne et le monde qui l’entoure, la foule, la tension populaire qui s’est emparée du pays à l’époque. La conséquence de ses partis pris c’est qu’il n’y a aucune scène qui se construit sur la durée, aucune séquence qui prend la peine de se déployer, à peine l’une commence qu’elle laisse place à la suivante : la scène du second entretien, pourtant l'une des plus réussies du film, par exemple, aurait pu durer plus longtemps, laisser la tension s’installer progressivement, prendre le temps de se construire mais non, elle s’interrompt juste au moment où elle commence à être intéressante, où on sent un crescendo s’installer. Et tout le film est construit et monté selon cette logique, ce que je trouve dommage.
Bon, tout ça ayant été dit, il y a quand même des aspects du film que j’ai aimés et ma déception, en fin de compte, est peut-être davantage liée au fait de ne pas avoir vu le film tel que je l’imaginais qu'à ce qu'il est vraiment. Déjà, comme précisé précédemment, Laure Calamy est impeccable et l’une des forces du film c’est qu’il n’hésite pas à en faire, certes, une femme qui en bave mais aussi une femme qui en fait baver à ses proches, ne la positionnant pas seulement comme victime mais dévoilant aussi tout l’égoïsme dont elle est contrainte de faire preuve. Par exemple, outre le fait qu'elle se repose en permanence sur sa nounou pour garder ses gosses, sur ses collègues pour la remplacer (jusqu'à causer, indirectement, le renvoi de l'une d'elles), la scène du second entretien laisse entre-apercevoir, au détour d'un dialogue tendu, qu'elle a elle-même été, dans le cadre d'un précédent emploi qu'elle occupait, un rouage de cette machine capitaliste qui la broie actuellement, employant des pratiques de concurrence déloyale face à la concurrence, chez laquelle elle postule par la suite. Bref, le film, sans donner l'air d'y toucher, construit en filigrane un personnage plein de paradoxes et de contradictions, bien plus complexe que celui d'une victime absolue du système, stéréotype auquel on aurait pu s'attendre. Et surtout, j’aime finalement la manière dont le film se concentre uniquement sur elle, ne filmant que le strict minimum de ses interactions avec le monde, en réduisant finalement ces grèves et ce contexte social à une problématique quasi hors champ, qu’on écoute à la radio ou qu’on regarde à la télé, quelque chose qui existe à côté de l’héroïne, qui impacte son quotidien mais qui n’est jamais réellement le sujet du film, ce qui donne quasiment à ce dernier une sensation imminente de fin du monde. Sensation que j’avais d'ailleurs plus ou moins vécue à l’époque dans la mesure où j’arrivais moi-même a la fin de mes études et que seule la validation de mon mémoire m’importait, me contraignant, par exemple, à me lever à 5h00 du matin pour prendre un Blablacar et me rendre sur Paris pour ne pas louper ma soutenance. Et, focus sur ça, rien d'autre ne comptait alors que j'avais bien conscience que quelque chose de plus grand et de plus important se déroulait, qu'on était au bord de l'effondrement. Sentiment, encore une fois, extrêmement bien rendu par le film.
Avatar 2 : La Voie de l'eau, James Cameron (2022)
Là encore, je suis déçu. Alors, on va déjà commencer par le plus évident : sur le plan technique et visuel, le film est une folie furieuse, on comprend bien les 13 années qui séparent ce second opus du premier
Avatar, sorti en 2009. Un boulot monstre a été fourni et, au-delà de ça, ce qui impressionne avec le recul c'est de se dire que James Cameron est certes un cinéaste mais qu'il est aussi et surtout devenu un véritable chercheur, un pionnier ambitieux dans l'innovation des moyens technologiques et cinématographiques. Donc, si je lis beaucoup d'avis négatifs sur le film et notamment sur son récit, avis que je partage en grand partie (mais j'y reviendrai), je suis également très très satisfait par le carton, peu surprenant, certes, mais enthousiasmant, qu'il fait actuellement au box-office. Quitte à ce que ça soit un blockbuster hollywoodien qui fasse autant d'entrées, et contribue donc ainsi à sauver ou du moins faire survivre les salles et financer indirectement d'autres films plus indépendants, autant que ça soit un film qui ait fait l'objet d'un réel investissement créatif de la part d'un auteur aussi ambitieux. On pourra dire ce qu'on veut de James Cameron, c'est à mes yeux une réjouissance de savoir que des mecs comme lui existent, expérimentent et prennent autant de risque sur le plan créatif. Bon, ça, c'est dit.
Concernant le film et son fond... Je pense déjà que Cameron a vu trop grand. Le film dure 3h12, le mec fait des films de plus en plus longs (d'ailleurs, aux dernières nouvelles, le montage finalisé d'
Avatar 3 durerait actuellement 09h00 !!) et autant sur des films comme
Abyss,
Titanic et même le premier
Avatar, que j'ai revu et réévalué avant de découvrir ce second opus, ça n'était pas gênant du tout (j'en aurais même redemandé) parce que la structure narrative était systématiquement bien construite et d'une solidité implacable, autant sur ce film-là, la structure est bien plus bancale. Le film est divisé en trois parties et le liant entre chacune d'elle n'est pas très convaincant, Cameron refusant de s'en tenir à une idée bien spécifique dans la mesure où il multiplie et empile des idées qui auraient pu / dû être traitées chacune dans un film à part (mais auquel cas, bonjour les suites à gogo, surtout que trois autres sont déjà officiellement prévues).
Dans le premier
Avatar, il y avait un argument et un seul : l'Unobtanium qui, dans le film, est la ressource naturelle qui fait l'objet de toutes les crispations et les convoitises et autour de laquelle va s'engager le conflit avec, au centre, un personnage principal confronté à un dilemme moral. Moi ça m'allait, beaucoup de personnes avaient trouver ce motif scénaristique ultra simpliste mais il avait le mérite, d'une part d'être clair et de rendre le film limpide au niveau de ses intentions, et d'autre part de permettre à James Cameron de construire son récit avec autant de clarté et de solidité tout en se focalisant sur ses ambitions de mise en scène : on avait un personnage principal envoyé en mission d'infiltration pour amadouer les autochtones et au cours de cette mission, il change progressivement de camps et se révolte, avec les locaux, contre l'envahisseur. Bref, encore une fois, moi ça me convenait d'autant que le film, en choisissant cette approche et ce développement scénaristique construisait en parallèle, dans sa réalisation, une réflexion sur le basculement opéré par James Cameron entre un cinéma de la matière, mécanique, viscéral et un cinéma qui tend à évoluer vers une certaine virtualisation avec cette idée du tout numérique qui tendrait à créer de nouveaux modes de vie. Le choix final du héros sera ainsi de renaître dans un nouveau corps, entièrement numérique à l'image, pour épouser une nouvelle culture et délaisser sa vie d'autrefois.
Et donc, tout ça pour dire quoi ? Que le premier
Avatar avait un argument scénaristique d'une telle simplicité qu'elle lui permettait, in fine, de construire et développer une réflexion et une mise en scène amples, complexes et d'une grande générosité. Bref, Cameron proposait encore une fois une certaine idée de l'absolu au cinéma. Avec
Avatar 2, il perd beaucoup de cette force à mon avis. Déjà, si le film est impressionnant techniquement et visuellement (plus que le premier selon moi) et fout un uppercut à toute la production hollywoodienne actuelle, ce tour de force technologique n'est absolument pas valorisé par sa structure en trois parties qui ne semblent pas former un tout unifié et qui agissent par effet d'empilement : on va avoir le commando armé avec une mission d'extermination, puis le peuple de l'eau qui sera finalement introduit dans la seconde partie (pour être complètement délaissé par la suite, paye ton
set-up / pay-off !), et enfin, un argument similaire à celui qui constituait la base scénaristique du premier film et qui est, ici, l'huile de Tulkun (aka une baleine) comme ressource énergétique pour le corps humain, censée stopper le vieillissement des cellules. Et si je parle d'effet d'empilement c'est bien parce que je n'ai pas du tout l'impression que James Cameron ait réussi son coup : sur le plan narratif c'est un peu comme une maison qui manque d'une base et de fondations précises et solides, une maison constituée de matériaux assemblés artificiellement les uns avec les autres, censés donner corps, mais sur le point de s'effondrer à tout moment. Bref, grosse régression à ce niveau, d'autant que le film, contrairement à ce qui a été annoncé par son auteur, ne se suffit pas à lui-même dans la mesure où de nombreuses pistes et promesses de scénario ont été lancées (notamment concernant le sort final de l'antagoniste) sans trouver d'aboutissement, annonçant donc les multiples suites prévues à l'avenir. Bon, celles-ci ont été prévues de longue date par Cameron et vu son investissement et son acharnement au travail vis-à-vis de cet univers, je n'irais pas jusqu'à le taxer d'opportuniste, mais c'est presque la sensation qu'il donne. Presque.
Ajouté à ça, je trouve aussi que le film ne respecte même pas les propres promesses qu'il fait. En décidant de s'exiler, la famille de Jake choisit de trouver refuge au sein d'une nouvelle tribu et donc d'adopter ses mœurs et ses coutumes : le problème c'est qu'on ne verra absolument rien de tout ça, là où le premier montrait avec minutie la manière dont Jake s'intégrait et s'adaptait à son nouvel environnement, jusqu'à faire corps avec la tribu qui l'accueille et prendre partie pour elle par la suite. Là où le premier montrait la force du collectif, ici, la logique me semble bien plus individualiste, bien plus américaine en somme, dans la mesure où seule la famille et non plus la tribu (qui est d'ailleurs délaissée deux fois, au début avec l'exil et à la fin pendant le climax) est mise en avant. Cela donne des promesses de scénario non respectées, je pense notamment au personnage de Kate Winslet, Ronal, présentée comme une guerrière qui pourrait, à moyen-terme, venir foutre la merde en refusant l'exil au personnages. Mais non, le film ne fait absolument rien de ce potentiel dramaturgique alors qu'il y avait matière à construire quelque chose de plus ample, en filmant une famille étrangère s'intégrer dans les us et coutumes de cette nouvelle tribu et, peut-être, rencontrer des difficultés à les adopter. Et le décalage culturel qui aurait pu être mis en scène se réduit ici seulement à des conflits entre gosses (les gosses étant également l'un des gros plus du film d'ailleurs). C'est quand même bien mince et, surtout, sur la suite du film, ça ne sert absolument pas à la dernière heure qui est censée faire office de gros climax mais que j'ai trouvée décevante sur le plan du divertissement, décevante car la tribu / le clan / le collectif est une nouvelle fois mis de côté dans une logique purement individualiste ("Ne vous en mêlez, ça ne regarde que nous" - alors que des gosses de la tribu étaient aussi impliqués et en danger, gros WTF scénaristique pour le coup).
Bon, j'irai sans aucun doute voir le troisième opus tant les deux premiers, dans la logique d'une vaste saga, font surtout office d'introduction, même si le premier se suffisait amplement à lui-même. Mais j'espère quand même que Cameron en garde bien plus sous le coude que ce qu'il semble annoncer ici...