Quatre Chemins, Alice Rohrwacher, 2020
Il n'y a que les très grands cinéastes qui peuvent faire des films si simples.
Alice Rohrwacher, pendant le confinement, décide d'utiliser une vieille caméra et quelques bobines périmées pour aller filmer ses voisins. Les saluer, leur faire un signe de la main, et dire deux ou trois choses qu'elle admire chez eux.
En 7 minutes, l'émotion est là, immense, limpide. L'émotion de la présence. Et celle de se présenter à l'autre. En un lieu, en un temps.
Le Pupille, Alice Rohrwacher, 2022
Ca, par contre, c'est beaucoup moins intéressant. Et pourtant, cette cinéaste a la grâce. Quelques plans éblouissent. Quelques idées d'une ingénuité et d'une douceur folles (la narration chantée par les enfants, les yeux qui clignent même lorsqu'on les dessine). Mais le film se perd dans trop de directions différentes pour une durée si réduite (30 minutes). L'histoire principale semble mal taillée, on ne la distingue pas des à-côtés. (Et parmi les à-côtés, Valeria Bruni-Tedeschi expliquant que son compagnon est une brute, enfin non, enfin si quand même... Ca fait bizarre de la revoir déjà. J'ai été incapable de croire à son personnage.)
Le film a été réalisé pour Disney. Je ne sais pas si c'est une commande ou bien réellement le désir d'Alice Rohrwacher. Il était plutôt évident qu'elle aurait des choses à montrer aux enfants. Mais est-ce le format, les directives de la plateforme, la méthode de fabrication sans doute radicalement différente de celle du cinéma ? En tout cas, elle n'y arrive pas si bien que ça. Le film semble mal préparé.
A Short story, Bi Gan, 2020
Attention, transformation imminente en Luc Besson ! J'espère me tromper, mais franchement ce court-métrage est inquiétant.
Qu'est-ce que j'avais aimé Kaili Blues pourtant...
Nest, Hlynur Palmason, 2022
Un même lieu à travers le temps. Une sorte de grand poteau, qu'on tronçonne, au sommet duquel on pose une nacelle, sur laquelle on construit une cabane, qu'on harnache à l'aide de cordes, peu à peu, à travers les saisons. Et les enfants y viennent, y jouent, travaillent, construisent, améliorent, le délaissent s'il fait trop froid... Les oiseaux en font leur refuge quand tout est enneigé. Et parfois on voit la mer au loin, et les montagnes de l'autre côté du fjord, et parfois pas, l'air est trop épais, chargé de brume, de vent. Le ciel est rouge, jaune, vert, traversé par des oies. Et un jour, il y a un accident.
On dirait un film de James Benning, un peu plus électrique peut-être, plus intime en tout cas. Il semble assez évident que Hlynur Palmason filme ses propres enfants. Il les regarde grandir, sans jamais intervenir. On se demande où se trouve la caméra, depuis où elle regarde... Depuis la maison sans doute. Alors le cinéaste est en train de regarder ses enfants construire une autre maison, partir déjà un peu, s'aventurer dans le monde, faire leur vie. A quoi ça ressemble, "faire la vie" ? A ça, à ces journées à tourner autour d'un poteau, à le rêver, à imaginer ce qu'on pourrait y faire, tout mettre en oeuvre pour y parvenir, échouer parfois, et passer du temps perché sur un rêve en chantier permanent.
On prend toute la mesure de la fragilité des lieux, de ce qu'on vient y déposer, nous, humains, avant de les quitter. Ces abris, ces cabanes, ces constructions qui se font toujours contre (le mauvais temps, l'ennui, l'errance, le regard). Et pour (voir, vivre, appartenir, jouer).
Encore une fois un film fait-maison, comme l'est Godland à mon avis, sans le petit masque de la fiction historique cette fois-ci. Un film qui avance à découvert, tout simplement, et qui confirme l'intérêt que suscite pour moi ce cinéaste.