Un industriel italien, qui fabrique des bonbons, devient obsédé jusqu'à la démence, jusqu'au suicide, en tombant sur un ballon gonflable et en se posant cette question insoluble : jusqu'où peut-on gonfler un ballon avant qu'il n'éclate ? Mastroianni passe donc la totalité du film à gonfler des ballons, tentant d'insuffler le maximum d'air sans qu'ils n'éclatent et repoussant ce couperet fatidique de plus en plus loin. Ce film est un pur chef-d'oeuvre, pour moi le meilleur Ferreri vu à ce jour, en tout cas, c'est lorsque le cinéaste se concentre sur une idée (absurde mais pas toujours) et qu'il décide de la pousser à son extrême (ici, mais aussi dans Dillinger est mort ou La Grande Bouffe) qu'il est à son meilleur, égalant un Buñuel dans l'analyse de l'absurdité du monde. Le film traverse insidieusement toute l'arrivée du psychédelisme, le confrontant avec la bourgeoisie mourante d'un monde révolu, et le choc entre ces deux mondes est aussi violent et soudain que l'éclatement d'un ballon. Surtout, Break-Up est un film où la sexualité est omniprésente, et où Mastroianni s'y refuse, occupé à gonfler ses ballons. Cet acte n'est autre qu'une métaphore de la masturbation évidente (il n'y a qu'à voir l'acteur gonfler les ballons à la pompe à vélo, singeant une évidente et gargantuesque branlette), et le film parle in fine de ça, de ce refus du corps de l'autre, occupé à se concentrer sur une autosatisfaction impossible, puisque le ballon finit toujours par éclater, et cet acte auto-centré et vain entre en résonnance avec notre monde moderne avec beaucoup de force, tant il évoque l'individualisme contemporain. Chef-d'oeuvre.
Evoquant par son titre un classique du film noir de Delmer Daves, le nouveau film de Mikhaël Hers est au contraire un film solaire, malgré sa photo d'époque (le film se déroule de 1981 à 1988) plutôt dans des tons éteints. Hers trace le portrait d'une femme, Elizabeth, et de ses deux enfants, laissée pour compte avec un cancer du sein sous le bras, abandonnée par son mari, elle qui n'a jamais travaillée, épleurée dans le quartier de Beaugrenelle et ses immeubles étranges. Mais le film évite immédiatement le misérabilisme attendu pour, en trouvant des solutions à ses personnages, aller vers la lumière. La mère trouve du travail, et est engagée à Radio France (après Les Magnétiques, voici un second film qui s'intéresse à la radio dans les 80's, c'est étonnant et réjouissant) dans l'émission qu'elle écoute chaque nuit, celle où un ersatz de Macha Béranger, Vanda Dorval (excellente Emmanuelle Béart) vient panser les coeurs et les solitudes, meilleur moyen de dissimuler la sienne. En s'investissant dans ce travail qui est aussi une passion, la mère va réaliser une véritable révolution. Et entrainer avec elle ses deux enfants, déjà grands ados ou jeunes adultes, à moins que ce ne soient eux qui l'incitent à. Tous trois sont en tout cas aidés par un ange déchu, une jeune femme repondant au pseudonyme de Tallulah, une paumée de 17 ans qui débarque à Paris avec son sac à dos, dormant sous les ponts et dépendante à l'héroïne, qui débarque pour témoigner dans l'émission de Vanda Dorval. Elizabeth est émue par cette jeune femme, et lui propose, plutôt que de dormir sous un pont, de dormir dans leur chambre de bonne inoccupée. Tallulah devient vite le 4ème élément de cette famille, le quatrième pied d'une table qui lui redonne sa stabilité. Car en se concentrant sur cette jeune femme qui va mal (l'adolescent va même vivre une histoire d'amour avec elle), les trois se concentrent sur autre chose que leurs propres difficultés et peuvent aller de l'avant. En faisant aller ses personnages au cinéma pour une séance des Nuits de la Pleine Lune de Rohmer, Hers dresse un parallèle volontaire entre son personnage et Pascale Ogier qui joue le rôle principal du Rohmer, morte d'overdose à 25 ans, d'autant que les deux actrices ont des physiques et des voix très proches. Mais voilà, Tallulah s'en sort, elle décroche de la drogue et ne meurt pas, grace à cette famille qui l'accueille et prend soin d'elle. La façon dont Hers filme tout cela, contribue à y ajouter la douceur nécessaire. Une bande son pop indé, des tas d'images d'archives crée une illusion, dont personne n'est dupe, de revivre la douceur, parfois un peu aigre, de cette époque. Hers a une manière très particulière d'utiliser les images d'archives (il y en a plein, de toutes sortes, on voit même Jacques Rivette (encore un tonton) dans le métro). Après chaque séquence fictionnelle, il enchaine des images d'archives d'époque, puis des images tournées par lui en super 8 ou en 16, non narratives, puis il revient en 35mm pour la séquence suivante. L'archive s'insère donc tout en douceur, ne créant jamais de rupture avec sa fiction, mais venant s'y lover, tout en lui donnant de la crédibilité documentaire. Il est amusant de constater qu'une autre fiction contemporaine sortie cette année, Memory Box, inscivait aussi l'archive - archive intime, comme archive de la guerre du Liban - au coeur même d'un récit fictionnel. C'est une manière nouvelle et très stimulante qu'on les auteurs de cinéma pour convoquer le passé, leurs références, leurs souvenirs, dans des films qui regardent pourtant le présent.
Un très bon poliziottesco se déroulant à Naples au sein de sa légendaire pègre, qui a le mérite de tenir jusqu'au bout son scénario - c'est tellement rarement le cas - et de regorger d'inventivités de mise en scène.
Autant j'ai adoré Break-Up vu la veille, autant j'ai détesté L'Histoire de Piera qui représente vraiment ce que Ferreri peut faire de pire, à savoir de la provocation à deux balles uniquement là pour choquer le bourgeois, n'hésitant pas à convoquer, voire glorifier, l'inceste ou la pédophilie de manière ostentatoire uniquement pour faire son rebelle d'opérette, rappelant les pires travers d'un Blier ou d'un Bigas Luna, à savoir un cinéma provoc et qui manque cruellement de sens.
L'un des trois grands films de guerre de Raoul Walsh, avec Aventure en Birmanie et Le Cri de la Victoire, adapté du roman que Norman Mailer écrit à 24 ans, et qui lui fait obtenir le prix Pulitzer. Le film est magnifique, surtout la seconde partie qui nous plonge au coeur de la jungle embarqué avec les soldats (certaines scènes m'ont par ailleurs rappelé Outrages de De Palma), mais j'ai tout de même une préférence pour les deux autres films cités plus haut, notamment parce que Walsh y déploie beaucoup plus d'empathie vis à vis de ses personnages. Mais ça reste un must du genre, bien évidemment.
Après La Veuve Couderc, je revois donc Les Granges Brûlées, soit l'autre grande confrontation avec les deux monstres Delon et Signoret, deux films qui ont laissé une vive empreinte dans ma cinéphilie d'enfant. J'aime beaucoup les deux films, mais je ne me souvenais pas qu'ils étaient en fait si différent. Celui-ci est vraiment passionnant, presqu'un un Melville campagnard, dans la façon qu'il a de confrontrer ses deux personnages. Elle est la propriétaire d'une ferme, où vivent et travaillent ses enfants et leurs familles. Dans la neige épaisse de l'hiver, on retrouve une nuit le corps d'une femme assassinée. Lui, Delon, impérial de calme et de flegme, est le procureur général chargé de l'enquête. Il est persuadé dès le départ que l'un des enfants de cette femme est responsable de ce meurtre. Il ne va jamais perdre cette conviction, même s'il n'en a jamais la preuve. Il y a quelque chose d'une tragédie grecque dans cet affrontement stoïque et quasi immobile de ces deux personnages, chacun campé dans leurs convictions. Quelque part entre la tragédie grecque et le western statique, dans la neige paysanne.
Documentaire de James Ivory consacré à Nirad C. Chaudhuri, écrivain indien qui donne son point de vue sur son rapport à la culture, l'histoire, la religion et la société. Chiant comme la mort.
L'Espace Rapide - Marin Gérard (2021)
Court-métrage de fin d'étude d'un étudiant de la Femis, dont le titre est inspiré par le groupe Quickspac e et dans lequel on voit notamment jouer Quentin Dolmaire. Le film évoque en trois tableaux des instantanés se déroulant la Parc des Buttes-Chaumont. Une discussion de deux jeunes hommes sur une conquête amoureuse. Puis deux adolescents allant draguer avec innocence et maladresse une jeune femme américaine. Et enfin une équipe de tournage tentant de réaliser un film "à la John Ford". Le film est beau car en si peut de temps, c'est un court mais qui plus est divisé en trois, il parvient à faire exister ses personnages et à nous faire nous y attacher. Il crée même de la frustration, car on aimerait passer plus de temps avec eux, alors qu'on ne fait qu'entrevoir des bribes de leurs vies. J'ai pensé aux Nuits avec Théodore de Sébastien Betbeder qui comme lui se déroule intégralement ou presque aux Buttes Chaumont, en réalisant qu'on pouvait filmer les mêmes lieux en leur faisant dire des choses totalement opposés, et que ce qui compte c'est de savoir ce qu'on va leur faire dire. Le Betbeder est un film nocturne, occulte, très mystique, alors que le Gérard est solaire, et en cela rappelle quelque fois le cinéma de Brac (notamment les deux situés sur la base nautique). Découverte d'un cinéaste naissant, qui aura sans doute de très belles choses à dire, et à filmer.
Qu'on regarde nos mains - Lilian Fanara (2021)
Un homme aveugle recouvre miraculeusement la vue au moment de l'incendie de Notre-Dame. Redevenu valide, l'une de ses premières décisions sera de se rendre chez son père vieillissant - excellent Féodore Atkin -, très marqué par l'incendie, notamment parce qu'il a travaillé jadis dans la rénovation des vitraux de la Cathédrale. Cette rencontre sera l'occasion pour le père et le fils de renouer des liens alors distendus. Quel plaisir de découvrir l'un des films, et de rencontrer enfin, un alédien devenu cinéaste ! Film superbe, qui traite de la foi - la question du miracle étant centrale -, mais envisagée à hauteur d'homme et non dans une logique de sacré. J'ai pas mal pensé à Godard, notamment bien sûr à cause des très beaux plans de mains qui ouvrent et ferment le film, mais pas seulement; le film évoque le Godard des 90's, Nouvelle Vague, Hélas pour moi, bref un moment où la question du sacré est également essentielle chez lui. Hâte de voir les autres !!!
Un excellent giallo, d'un cinéaste n'ayant jamais commis autre chose de notable a priori, qui s'inspire de la trame de l'Inconnu du Nord Express, donnant à son film une aura mystique et très sombre, inspirée du cinéma d'Aldo Lado, qui se trouve en être l'un des coscénaristes. De nombreuses scènes se déroulant à Venise, la présence énigmatique de Pierre Clémenti et une fin très réussie terminent d'en faire une des réussites du genre, et même si le film fait volontairement un pas de côté par rapport aux canons du dit-genre.
au moment du passage muet / parlant, un acteur / scénariste / metteur en scène / producteur vedette qui n'a pas tourné de film depuis 5 ans, convoque tout le gratin d'Hollywood dans sa luxueuse demeure pour une grande fête dont le point d'orgue sera la projection en avant première de son nouveau film, notamment en présence de puissants distributeurs. La projo se passe mal, le film est jugé ringard, et la grande fête dégénère, se terminant d'abord en partouze puis en bain de sang. Parrallèlement, il voit sa compagne - sublimissime Raquel Welch au fait de sa splendeur -, qu'il traite de manière violente et honteuse, s'éloigner de lui pour tomber dans les bras d'un jeune bellâtre. Ivory s'aventure une fois de plus sur des territoires très altmaniens avec un film qui semble un peu hors du temps, mais qui est malgré tout plutôt amusant à suivre.