Le Centre de Visionnage : Films et débats

Discutez de vos récentes expériences cinématographiques et complétez vos Tops annuels !
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cyborg
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Peter Nesler - Foreigners, Part I: Ships and Guns

Nébuleux et prolifique Peter Nestler, adulé par certains et inconnu par la plupart, sa plus grande notoriété lui venant d'avoir côtoyé et été adoubé par le pape de l'austérité cinématographique : Jean-Marie Straub (ainsi que par Farocki, soit dit en passant). Leurs cinémas ne sont pas sans lien, à la différence près que Nestler fait... du documentaire. Un documentaire sobre, sec, de consciencieuse investigation, creusant couche après couche tel un archéologue qui laisserait toute la place aux temps des choses et aux gens et à leur parole. Son originalité repose dans son usage du son, très loin du son direct et très travaillé et recomposé, générant de surprenant effets.
"Foreigners" semblait être le début d'un cycle (je crois qu'il n'y a qu'un numéro 2, néanmoins) dans lequel Nestler s'intéresse à l'histoire des migrations, à leurs origines et dynamiques. Avec "Ships and Guns" il se penche sur l'évolution des techniques de navigations et la puissance économiques qu'elles entrainent par le biais du commerce. Et entrainés avec elles d'importants déplacements de population. Au cœur de ce jeu de réseau, la ville de Liège en Belgique, ou se tenait une des plus importantes armureries du XVIIIème (?) siécle, point nodal des flux et du film.
Si le film est anti-spectaculaire au possible dans un sens cinématographique, il reste totalement captivant par son contenu et son déroulé, par les liens qu'il exhume, révèle et prolonge jusqu'à nos jours. On sent fortement l'esprit "allemand" qui habite Nestler et ce travail à la croisée des techniques et des hommes, dans des interrogations proche des "media & technical studies" développés par Friedrich Kittler et ses héritiers (Siegert etc...). Artistiquement nous sommes même ici dans une sorte de proto-Adam Curtis dont les passionnants documentaires fleuves pour la BBC détricotent consciencieusement les invisibles et les impensés de notre monde moderne.

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J'ai une nouvelle merveilleuse chérie à Paris et bien qu'étant une personne brillante (hé oui, quoi d'autre...) sa culture cinématographique est un peu faible... Qu'importe cela sera l'occasion de revoir certains classiques quand les occasions se présenteront. Et puis quoi de mieux qu'aller au Quartier Latin voir un tel film sur grand écran dans une version restaurée... :love:
Bref j'avais déjà vu -je crois- Sunset Boulevard deux fois mais en avait oublié de grands bouts et cette revoyure est l'occasion pour moi de confirmer son statut de chef-d'oeuvre. J'avais notamment oublié qu'après avoir débuté comme de nombreux contes (le héros se trouve dans un lieu isolé, avec un véhicule en panne, dans une prison dont il ne peut s'échapper : on pense à l'Eldorado de Voltaire ou aux Grand Meaulnes et tant d'autres) le film se constitue en réalité sur de nombreux aller-retour entre le "hollywood du présent" et "la maison du passé", permettant de sortir le film de tout risque d'un passéisme bon teint et du "c'était mieux avant". La scène la plus belle et bouleversante se tient lorsque le schéma s'inverse : la diva de retourner sur le plateau de tournage de De Mille et, tandis qu'un micro frôle la plume de son couvre chef, un projecteur l'éclaire et tous les figurants grimés viennent lui rendre un fugace hommage.
L'autre point de sidération est que la toute fin semble absolument prémonitoire pour un film paru en 1950 : tandis que les "caméras de studio" refusent la star ce sont les "caméras d'actualité" (envoyé par exactement le même studio) qui redonneront son dernier éclat à la star déchue... un changement de régime des images, de leurs sources, valeurs et circulations qui s'ignore encore.
Et enfin j'avais aussi oublié que le majordome-réalisateur oublié était joué par Erich von Stroheim lui-même. Là aussi une idée géniale, lui l'avant-gardiste ruiné qui se retrouve à diriger des caméras de télévision... J'en suis même venu à me demander si ce n'était pas d'ici que Spielberg n'avait pas tiré son idée de faire jouer Ford par Lynch dans The Fabelmans...


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Oedenwaldstetten (A village changes its face) — Peter Nestler, 1964

L'un des premiers court-métrages documentaires de Nestler dans lesquel il se concentre sur les bouleversements subi par la vie, les habitudes et le travail des habitants dans un petit village de l'Allemagne de l'Ouest de l'après Deuxième Guerre Mondiale. La grande question est bien entendu : que fait la modernisation technique et économique aux Hommes, aux Femmes et aux enfants de ce village ? Le point de vue de l'auteur, sans être lourdement appuyé, est clair : ce type de modernité est nuisible car elle déshumanise. Un constat qu'il finira par étendre au pays en entier, Nestler semblant toujours se servir d'exemple petits et concrets pour tirer des conclusions plus générales.

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Rheinstrom - Peter Nestler - 1965

La figure du fleuve est un point marquant dans le texte essentiel "La question de la technique" de Martin Heidegger. En artiste s'interrogeant sur les rapports entre techniques et cultures, il n'est donc presque pas étonnant que Nestler ait réalisés plusieurs films sur des rivières, dont "Rheinstrom" est le tout premier.
Durant 13 minutes Nestler filme le flux du Rhin et ses abords en se concentrant sur la grande diversité des gens qui s'y retrouvent : lieu de travail pour certains il est aussi en train de devenir lieu de vacances et de plaisance pour d'autres. L'enjeu central est donc une fois encore la transition et modernisation de l'Allemagne au tout début de la deuxième moité du XXème siécle, filmé ici avec une grande acuité.

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The Questor Tapes - Richard Colla

L'un des créateurs de Star Trek (un monde dont je ne sais rien et pour lequel j'ai bien peu d'intéret), Gene Roddenberry à mis au point en 1974 le pilote de la série "The Questor Tapes" qui sera malheureusement immédiatement avorté. Malheureusement car ce long épisode d'1h45 (que je me suis retrouvé à voir en salle) promettait une série réjouissante.
Nous y voyons la naissance du premier android hyper perfectionné, conçu par une équipe de super-scientifique, qui s'échappe pour partir à la recherche de son créateur originel et percer "le sens de la vie". Accompagné par un scientifique avec qui il est devenu ami, notre androïd découvre progressivement le monde des hommes, entre très grande naïveté enfantine et hyper intelligence et pouvoir, donnant lieux à de nombreuses scènes très drôle. L’esthétique très figée de la TV américaine des années 70 en devient plutôt réjouissante dans le contraste inattendu qui se crée avec ce robot cherchant à s'humaniser, et nous venons à nous demander qui est "le plus vrai" entre lui et ces acteurs et décors en carton pâte.
The Questor Tapes se révèle donc une réjouissante variation, plutôt en avance sur son temps, sur l'immortelle question de l'âme des machines...
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groil_groil
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sokol a écrit :
mer. 22 mars 2023 11:05
groil_groil a écrit :
mar. 21 mars 2023 11:50
C'était le sujet de "Buongiorno, Notte", mais "Esterno Notte" en offre le parfait contrechamp. C'est intéressant de noter que le mot NOTTE est présent dans les deux titres, comme il est intéressant que noter que le mot qui précède ici est ESTERNO soit extérieur.
"Buongiorno, notte" était un film sur la rentrée dans la nuit de la terreur (il y avait une virgule juste après "buongiorno") donc, le titre était une salutation : "Bonjour, la nuit" (Bonjour la terreur).
"Esterno notte" (Extérieur nuit) est, comme tu l'as expliqué, son contrechamp, l'extérieur de la nuit (l’extérieur du monde de la terreur).

ps: quelle est ta scène préférée dans "Esterno notte" ?
Quelle question difficile, il y en a tellement. Je crois, juste en te lisant et sans réflechir, que c'est celle entre les terroristes, qui se déroule sur une place de Rome, en plein air, où les deux terroristes que nous suivons régulièrement veulent finalement sauver Moro, et celui qui est avec eux, le plus dur, leur explique pourquoi il faut l'exécuter. Cette scène m'a glacé le sang, car je suis évidemment du côté de ceux qui veulent le sauver, mais les arguments et la conviction de l'autre, et la manière dont Bellocchio filme-ça, font que toi aussi spectateur, tu te rends compte qu'il n'y a pas d'autre issue possible que son assassinat.

et toi ?
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sokol
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groil_groil a écrit :
mer. 22 mars 2023 15:15
et toi ?
Celle du premier épisode durant laquelle Moro va chercher son petit fils qui dort déjà et le mettre dans son lit matrimonial, entre sa femme et lui. Je crois que je ne l’avais jamais vu encore une telle scène au cinéma.
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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yhi
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@cyborg tiens c'est marrant je viens de recevoir un cadeau d'abonnement a Positif (je savais même pas que j'vais le droit a quelque chose) et c'est le DVD de The questor tapes.
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cyborg
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@yhi ha tiens, cocasse ! Tu verras c'est pas mal dans son genre, et souvent drôle. Tu nous diras ;)
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groil_groil
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Envie de revoir ce Sautet, sans rien y découvrir de neuf, mais toujours bercé par la petite musique du cinéaste, accompagnée ici de celle de Ravel.

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Un tout petit Fleischer, centré ici sur la révolution mexicaine de 1916, c'est quand même souvent toujours au-dessus de la mêlée.

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Le vieux bougon insupportable du quartier cache en fait un secret : le traumatisme de la mort de son futur enfant, puis de sa femme, qui a lui a ôté tout goût à la vie. Insupportable de neuneu attitude, de niaiserie et de glucose dégoulinant, même si, comme le disait Godard sur le mauvais film américain qui sera toujours plus vu en France que le mauvais film hongrois, y a un savoir-faire. Mais bon, savoir faire de la daube n'est pas non plus quelque chose de valorisant.

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Le pauvre Bertrand Bonello a l'air depuis 10 ans, et de plus en plus, totalement paumé, ne sachant plus quel film faire et quelle position choisir. Cinéaste à potentiel public, il se réfugie dans l'expérimentation mais sans oser l'aborder de front non plus, et son nouveau film est un objet informe et malaisant, qui est surtout l'expression d'un refus. Plus généralement, je pense que nous assistons aujourd'hui à la mort de ce que Pascale Ferran nommait les cinéastes du milieu, à savoir les auteurs pointus mais capables de ramener quand même du public en salle, de manière à disons, équilibrer économiquement la production du film. Ces cinéastes-là disparaissent, Bonello était l'un d'eux, ces films aussi, et c'est un signe alarmant concernant la santé de notre cinéma.
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groil_groil
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cyborg a écrit :
mer. 22 mars 2023 12:33

J'ai une nouvelle merveilleuse chérie à Paris
:ouch: ^^ :love2: :love: :love2: :love: :ouch: :D
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Kit
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Localisation : où est né William Wyler

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je l'ai vu et les westerns du mardi soir sur C8 lui sont supérieurs (à part les coupures pubs), dernièrement revu avec plaisir Les Cheyennes de John Ford (pour le coup comme je travaillais j'ai enregistré et sauter les pubs). j'ai loupé Appaloosa a semaine dernière que je n'ai jamais vu :(
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entre Les Cheyennes et L'homme des plaines perdues mon cœur balance. je n'ai pas changé d'avis sur la partie Wyatt Earp (James Stewart) que je trouve toujours inutile (comme les pubs)
Vosg'patt de cœur
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cyborg
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groil_groil a écrit :
ven. 24 mars 2023 15:39
cyborg a écrit :
mer. 22 mars 2023 12:33

J'ai une nouvelle merveilleuse chérie à Paris
:ouch: ^^ :love2: :love: :love2: :love: :ouch: :D
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asketoner
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Eden, Andres Ramirez Pulido

Et sinon, à part filmer des trucs dégueulasses, des tortures d'adolescents et des scènes de discipline ?
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yhi
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asketoner a écrit :
sam. 25 mars 2023 10:36
Et sinon, à part filmer des trucs dégueulasses, des tortures d'adolescents et des scènes de discipline ?
Eh bien tu peux apprendre que le traitement de la violence par la violence ne fonctionne pas. Merci d'avoir fait un film. :rofl:

(j'suis vert, parce que malgré sa sortie simultanée avec le festival latino que je co-organise, on avait essayé de faire barrage pour ne pas prendre ce film, mais le directeur du ciné nous a imposé de mettre quelques séances. C'est pas moi qui irait les présenter ^^ )
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asketoner
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yhi a écrit :
sam. 25 mars 2023 11:22
Eh bien tu peux apprendre que le traitement de la violence par la violence ne fonctionne pas. Merci d'avoir fait un film. :rofl:

(j'suis vert, parce que malgré sa sortie simultanée avec le festival latino que je co-organise, on avait essayé de faire barrage pour ne pas prendre ce film, mais le directeur du ciné nous a imposé de mettre quelques séances. C'est pas moi qui irait les présenter ^^ )
:lol:
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Le Pélican, Gérard Blain, 1974

Je continue de découvrir la filmographie de Gérard Blain. Il s'agit ici de son deuxième long-métrage. Il apparaît moins autobiographique au premier abord, mais il a exactement la même charge que les autres. C'est la force du cinéma de Blain que de tout de suite trouver l'atteinte, le vertige de son personnage, sa blessure irréparable.
Il y a dans le film un plan que j'aime par-dessus tous les autres : un homme, dont on vient de dire que son père ne s'est jamais occupé de lui, joue du piano, de dos, à côté de son fils qui s'amuse avec un petit train, assis par terre, de face, sur une moquette épaisse. La beauté de cette scène est immédiate, elle pourrait durer dix minutes tant elle est immédiatement chargée d'un affect complexe, et que l'on devine sans solution.
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Tamponn Destartinn
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ALERTE GENERALE

Quelqu'un a un lien pour Syndromes and a century de Jo ?
Je n'ai plus de lecteur DVD, j'en aurais pas de nouveau tout de suite, mais il faut absolument que je revois le film dans les jours qui viennent !
Please :love2: :love2:

(je précise qu'il est inlouable en streaming, ou alors j'ai mal cherché)
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asketoner
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Dalva, Emmanuelle Nicot

Le film sonne juste, en dépit d'une direction d'acteurs un peu plate, qui a tendance à tout banaliser. Ce n'est pas un grand film de mise en scène, mais le récit se tient, et il y a quelques moments où l'émotion surgit à la fois puissamment et intelligemment.
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B-Lyndon
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Un Mensch, Dominique Cabrera, 2023.

La réalisatrice Dominique Cabrera, dont j'aime tant le travail documentaire, a filmé les derniers mois de vie de son mari, l'homme politique socialiste Didier Motchane, atteint d'un cancer de l'œsophage et décédé en octobre 2017. Le film commence à l'hôpital et se termine chez eux, dans une maison à Montreuil, ainsi que Didier Motchane désirait mourir, comme dans les sociétés archaïques, à l'endroit même où l'on a vécu. Elle l'a filmé avec son petit I-phone, n'a jamais cherché de cadre, filmant simplement d'où elle le regardait lire le journal, disserter sur la popularité de Macron, lui donner des poèmes qu'il écrivait adolescent, dormir, tousser, ne rien faire ; pensant à raison que des plans finiraient par s'imposer. Le film est court, 40 minutes à peine, les plans du visage et du corps peu à peu déclinant de Didier Motchane sont entrecoupés de noirs très brefs, comme des battements de cœur ou de paupières, qui lui donnent une structure à la fois très sèche et mystérieuse. Comme une vision, quelques mois de vie vite refermés dans un poing qui se serre, pour retenir ce qui s'écoule et ne reviendra pas (« Je retiens la vie », dit elle sans détour, de sa voix sublime alors que son mari lui demande ce qu'elle cherche à filmer, et lui de répondre « Non – tu filmes ce par quoi la vie me retient »). Les époux sont seuls à l'écran et par delà l'écran tout au long du film, le sujet n'est jamais la maladie comme expérience sociale, sa prise en charge, mais plutôt le regard qu'on porte à l'être aimé alors qu'on sait qu'il va partir. Et finalement, ce n'est que le regard qui tient, et qui reste.

Au début du film, on entend Dominique Cabrera parvenir à formuler l'intuition fondamentale qui l'a poussé à faire ce film : « j'ai l'impression qu'on est sur une île, toi et moi ». Elle le dit avec une telle tendresse, un tel amour, une telle poésie, que cette île apparaît, devant nos yeux, la métaphore quittant le champ des mots pour se former dans tous les pores de l'image. Car on sent bien que ce film à faire n'était pas le centre de leur vie d'alors, et qu'il était comme une île secrète que les époux parvenaient parfois à rejoindre, quand les vagues de la maladie se faisaient moins terrassantes. Et cette île est faite d'une joie un peu désarmante, une intensité d'être, une souveraine sérénité. J'ai adoré entendre, plusieurs fois dans le film, ces moments où Didier Motchane lui dit : « ça va mieux ». Il me semble d'ailleurs que c'est la phrase qu'on entend le plus. Comme si filmer n'était possible que dans ces moments là, dans l'après de la tempête, quand ça recommence, quand c'est de nouveau possible. Filmer quand ça va mieux. Pour attraper autre chose, sans doute, que tout ce que la maladie flétrit. Ce qui continue de se bâtir, quand même. Leur île.

Tous les plans, très beaux, font du visage de Didier Motchane une île, aussi. Ballottée par les flots, une île qui bouge, qui enfle avec le vent, se recompose. Avec ses aspérités, ses collines, ses cascades, ses cratères, ses forêts...Une île qui pense et qui s'exprime. Une île qui préserve son secret – quand il dit « je vais bien, je ne tousse pas, c'est dans ta tête », peut-être qu'il voudrait protéger la cinéaste, ne pas lui dire qu'il se sent plus mal qu'il ne l'exprime. Mais il choisit de dire qu'il est bien, et c'est alors qu'il y a une relation. Ce qui n'empêche pas la caméra de ne pas être dupe, d'enregistrer le doute. Et c'est parce qu'il y a ce doute, que justement, il y a relation. Le doute de ce que dit l'autre, le doute de la présence de l'autre – il suffirait que je ferme les yeux, d'une seconde de noir, et il disparaîtra – c'est peut-être ce que Dominique Cabrera parvient le mieux à filmer. Parce qu'on est tellement bien avec eux, dans ce film, on voudrait que jamais ça ne s'arrête. Et chaque noir est comme un couperet. Est-ce qu'il y aura encore son visage après ce noir ? Quelle partie de l'île découvrirons nous encore ? Les deux derniers plans sont uniques : Didier Motchane, allongé sur le sofa, tousse. Noir. Dans la cuisine de la cinéaste, un jeune homme montre une photographie encadrée à la réalisatrice. C'est Didier Motchane, un peu plus jeune, souriant, en noir et blanc. Elle lui dit « très bien », le jeune homme part dans le salon avec le cadre. On comprend tout et le cœur se serre. La photo de Didier Motchane, à cet instant, contient toutes les îles que son visage a été. Le cinéma et la photographie se sont tenus la main, le temps d'un film.

J'ai toujours trouvé qu'il y avait quelque chose d'unique dans les documentaires de Cabrera. En 1995, dans Demain et encore demain, elle filmait un morceau de pain imbibé d'huile, des téléskis s'enfonçant dans la brume, l'élection de Chirac, son fils changeant d'école. Elle filmait aussi sa rencontre avec Didier Motchane qui lui écrivait des poèmes dans le creux de la main. A présent les deux films se regardent, une vingtaine d'années sont passées, on sent l'époque qui a changé, comme la femme cinéaste qu'elle était et qu'elle est devenue. Mais ce qui n'a pas bougé, c'est cette âme particulière qui caractérise son cinéma. Sa bonté. Sa puissance d'amour. Son attention extraordinaire à tout ce qui fait de la vie une expérience singulière, que jamais aucune pulsion morbide ne réduira. Un cinéma de mensch, pourrait-on dire.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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groil_groil
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Salut !
Assez bizarrement, je regarde des séries en ce moment.
3 films vus ou revus tout de même :

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Un couple dont les deux membres ne s'aiment plus et ne font plus l'amour accepte de participer à un traitement médicamenteux expérimental censé réveiller le désir en eux. Ca marche, mais ils deviennent accro à la substance, et lorsque l'expérience s'arrête ils sont démunis et prêts à tout pour avoir de nouveau des cachetons. La mise en place du film est excellente, drôle, les deux comédiens parfaits, mais malheureusement l'ensemble s'essouffle assez vite (malgré la durée courte du métrage) et le film finit par redevenir banal et oubliable.

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Second visionnage dans lequel j'y ai vu les mêmes défauts, les mêmes qualités, et qui n'apporte rien de plus au film. Pas la plus grande réussite de Mouret.

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ça c'est un revisionnage qui m'a ébloui. J'avais adoré en salle et c'est toujours le cas aujourd'hui, l'un des plus beaux films classiques de GVS, aussi beau que Will Hunting, et il pourrait en être le négatif d'ailleurs. Matt Damon, qui est aussi l'auteur du scénario, comme Will Hunting, est fabuleux dans le film, n'hésitant pas à se donner le mauvais rôle, mais qui se transforme par la prise de conscience finale. Film lanceur d'alerte aux USA sur les dangers de l'exploitation du gaz de schiste, Promised Land est beaucoup plus que ça, et, on ne le dit pas assez, est l'une des plus belles réussite du cinéaste, sa dernière en tout cas.
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Tamponn Destartinn
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Tamponn Destartinn a écrit :
mar. 28 mars 2023 12:48
ALERTE GENERALE

Quelqu'un a un lien pour Syndromes and a century de Jo ?
Je n'ai plus de lecteur DVD, j'en aurais pas de nouveau tout de suite, mais il faut absolument que je revois le film dans les jours qui viennent !
Please :love2: :love2:

(je précise qu'il est inlouable en streaming, ou alors j'ai mal cherché)

Je relance ma demande, même si je sens que ça va pas le faire ^^
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Narval
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Je t'ai envoyé un lien en mp ;) j'espère que ça ira.
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Whiskiss
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Narval a écrit :
jeu. 30 mars 2023 17:38
Je t'ai envoyé un lien en mp ;) j'espère que ça ira.
Je lui en ai envoyé un aussi :lol:
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Tamponn Destartinn
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merci encore à vous deux, j'adore ce forum :love2: :love2:
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asketoner
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Toute la beauté et le sang versé, Laura Poitras

J'aime vraiment beaucoup Nan Goldin, mais il n'y a pas de film. Il y a des diaporamas de photos magnifiques et des interviews de gens assis dont on filme parfois les mains pour faire cinéma d'art et essai, mais il n'y a pas de film. Laura Poitras n'est pas une cinéaste, son film sur Snowden était déjà une nullité, elle choisit bien ses sujets et elle a un carnet d'adresses impressionnant, mais c'est tout.
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asketoner
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Atlantic Bar, Fanny Molins

Sans dignité, le film se laisse totalement fasciner par l'alcoolisme graveleux de ses personnages.
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B-Lyndon
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Voyages en Italie, Sophie Letourneur, 2023.

Il y a quelques chose d'assez beau dans ces chevauchements, ces ratures laissées sur la copie, et Letourneur capte des paysages italiens une beauté étonnante, avec un vrai sens plastique. Mais je crois que le film manque de vraies scènes, ou ne fait pas un choix assez clair entre sa structure impressionniste et le recentrage autour de séquences fortes dont elle cherche à extraire toute la matière (la dernière partie au pieu, notamment, s'affaiblit un peu car je ne suis pas sur qu'elle rentre pleinement dans la logique du film). Un plan sublime : la caméra est postée au pied du lit, Letourneur secoue la couverture, on voit apparaître, comme une apparition, le corps nu de Philippe Katerine. Tout le film est là : tout ce qui concerne les corps, la sexualité, les sexes en eux-mêmes, est croqué avec une grande vitalité, un art du trivial et du poétique très inspiré, je crois qu'il y a beaucoup de désir. Le film débute sur un générique de photos de couple anonymes en Italie, et on y entend plusieurs fois que Stromboli rentre toutes les 20 minutes en éruption. Le lien que Letourneur fait, tout le long du film, entre l'omniprésence des couples au pied du volcan et son activité toujours renouvelée me paraît être une vraie proposition poétique, et lorsque le film se termine sur Stromboli en éruption, ça me parait très juste, dépassant la blague grivoise pour atteindre la chair organique du paysage et des êtres.
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sokol
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B-Lyndon a écrit :
sam. 8 avr. 2023 12:00
le film ne fait pas un choix assez clair entre sa structure impressionniste et le recentrage autour de séquences fortes dont elle cherche à extraire toute la matière
Bien vu !
Selon moi, le problème vient du fait que, quand on fait un film impressionniste, on n’embauche pas Philippe Katerine quoi
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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Tyra
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B-Lyndon a écrit :
sam. 8 avr. 2023 12:00
et lorsque le film se termine sur Stromboli en éruption, ça me parait très juste, dépassant la blague grivoise pour atteindre la chair organique du paysage et des êtres.
Je pense que le film aurait du se terminer sur la première éruption du Stromboli, celle filmée dans la nuit, au loin, juste après la scène de sexe/réconciliation du couple. Je ne comprends pas pourquoi après ça Letourneur continue, pour nous remontrer certaines choses du voyages et de la discutions sur le lit, jusqu'à épuisement, pour revenir finalement sur le Stromboli (mais avec des images de vraies vacances avec son fils cette fois). En fait je crois comprendre, mais l'autre fin était plus belle. Mais peut être trop "parfaite" pour un cinéma qui refuse justement toute forme d'"achèvement".
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Tyra
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sokol a écrit :
dim. 9 avr. 2023 00:43
B-Lyndon a écrit :
sam. 8 avr. 2023 12:00
le film ne fait pas un choix assez clair entre sa structure impressionniste et le recentrage autour de séquences fortes dont elle cherche à extraire toute la matière
Bien vu !
Selon moi, le problème vient du fait que, quand on fait un film impressionniste, on n’embauche pas Philippe Katerine quoi
Que veux tu dire par "impressionniste", et pourquoi Katerine ne pourrait pas jouer dedans ? :)
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cyborg
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Salut les amigos.
Moyennement le temps de regarder des films ces temps-ci, voici ce que j'ai vu depuis fin mars :

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L'heure des brasiers - Octavio Getino, Fernando Solanas - 1971

Qualifié de "Citizen Kane du cinéma militant", L'heure des brasiers pose dès la fin des années 60 ce qui constituera la base du cinéma politique dans son genre "cinéma de guerilla". Le film, d'une longueur extrême de près de 4h20, se découpe en 3 grandes parties de durées inégales. La première heure conte l'histoire du capitalisme mondialisé, de la décolonisation et du néo-colonialisme régissant toujours la vie des pays du sud; la deuxième, la plus longue (2h30 de mémoire) se concentre sur la vie politique et activiste en Argentine au long du XXème siécle et plus particulièrement durant les décennie des années 60 ; la 3ème enfin (la plus courte) donne des exemples concrets (la vie du Che, notamment) et incite les spectateurs à passer à l'action révolutionnaire.
Le tout se regarde bien malgré quelques longueurs (tous les détails sur la vie politique argentines sont quelques peu fastidieux, par exemple) même si je dois bien avouer que je n'aurais sans doute pas tout regardé d'une traite (ou même réussi à voir l'ensemble) si je ne m'étais pas retrouvé dans un trajet de 5h de train.
Il est surtout intéressant de voir ici la naissance d'un style cinématographique à part entière (lié à l'évolution des techniques de captation bien évidemment) liant intimement tout acte de captation et de prise de vue à un geste politique et revendicatif, et inventant par la même tout un vocabulaire visuel associé.

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Aag - Raj Kapoor - 1948

Suite à deux déceptions amoureuse, un jeune homme décide de fuir sa famille pour parfaire sa quête de création théatrale... Alors qu'un riche propriétaire de théâtre fini par lui accorder tous les crédits nécessaires à ses ambitions, il fini par tomber amoureux de son actrice, qui, quant à elle, ne tombera amoureuse que de son rôle de metteur en scène et non de sa personne même...
Confirmation, si besoin en était encore besoin, que les mélodrames du cinéma classique indien n'ont rien à envier à leurs équivalents américains de la même époque.
Les histoires du cinéma indien sont souvent tressés de trois éléments : l'amour, l'art et la politique, dans d'indémêlables quêtes d'absolu. Si la politique est absente de Aag, l'amour et l'art sont bien au rendez-vous et redoublé d'une intéressante réflexion sur la place des images (en temps qu'idéaux superficiels et trompeurs : le film se voudrait donc "iconoclaste") en leur sein. Je recommande !


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Pierre et Djemila - Gérard Blain

Plusieurs textes sur internet soulignent le potentiel raciste du film, et rappellent que le débat fut lancé à l'époque de sa diffusion à Cannes en 1987, sous couvert que l'un des scénaristes se soient trouvé proche de l'alors "Nouvelle Droite". Ce point effectivement peu ragoutant mis à part, il me semble néanmoins difficile de faire un tel procès d'intention au film. Ce serait passer à côté des nombreuses nuances et hétérogénéités que propose le film, et ce serait surtout passer à côté du cœur de ce qui préoccupe Blain : l'histoire d'amour des deux enfants. Si le racisme est surtout montré comme un phénomène d’engrènement systématique et absurde, il sert surtout ici de structure invisible et incompréhensible pour un amour impossible, au dénouement hautement tragique allant jusqu'à nous faire songer à un Roméo et Juliette moderne. Belle continuation du thème de prédilection de Blain (l'enfance, les rapports familiaux) tout en décentrant son autre sujet central (l'amour dans ses dimensions filiales et plus ou moins trouble par l'ascendance en âge).

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Mossane - Safi Faye – Sénégal – 1996

Curieux de voir Mossane le lendemain de Pierre et Djemila tant ce film en semble l'envers ! Dans un petit village reculé du Sénégal, Mossane, 14 ans, est en âge de devenir un femme et de prendre époux... Alors qu'un vieil oncle parti vivre en France avant sa naissance écrit à sa famille pour rappeler que la jeune fille lui avait été promise en mariage, Mossane se rebelle : elle préfère attendre de grandir pour se marier, et épouser celle que son cœur aura choisi. Les débats sont long et houleux, mais sans appel : les traditions auront le dernier mot. Mossane, quant à elle, préfèrera s'enfuir et se donner la mort (par noyade, ici aussi).
Dernier film de Safi Faye, Mossane est également la seule œuvre de fiction de la réalisatrice. Si elle prête beaucoup attention à ses images (elle à choisi Jürgen Jürges, directeur photo de Fassbinder) et essaie de mener adroitement son récit, tout y est toujours un peu trop sec pour vraiment convaincre, tandis qu'on sent son plaisir de documentariste à filmer la culture traditionnelle du village ou se déroule le film.


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Begotten - Elias Merhige - 1991

Film expérimental radical, Begotten évoque au long d'une heure dix minutes dans un noir et blanc granuleux et quasi abstrait, le suicide d'un supposé dieu et la fécondation et naissance d'une supposée nouvelle déesse-Terre-mère et son accueil tout relatif par les êtres vivants locaux. Fleurant bon le néo-paganisme, l'oeuvre de Merhige est une expérience filmique et organique aussi unique qu’extrême, à réserver aux esprits les plus aventureux.

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Cinéaste de la folie et des cas extrêmes, Herzog s'intéresse ici à la forme de vie que l'on peut imaginer la plus éloigné de tout ce qu'un être humain normalement constitué peut imaginer : celle des sourds-aveugles. Sujet anti-cinématographique par excellence, le film regorge pourtant de séquences plus étonnantes et bouleversantes les unes que les autres (magnifiés par la colorimétrie des années 70), les plus belles passant toujours par un contact direct avec la nature : la séquence de découverte des cactus et celle, finale, de petite marche dans un parc durant laquelle les personnages se mettent à enserrer les arbres. Si les questions métaphysiques et philosophiques portées par le film sont immenses, Herzog préfère les laisser flotter et se concentrer précisément sur l'importance du lien entre ces personnes et les choses (la place et la dimension "nouvelle" porté ici par les mains), mais plus encore sur ces personnes entre elles. La seule scène du film nous sortant du monde des sourds-aveugles et d'ailleurs, précisément, un congré politique militant pour le droit des personnes handicapées. Le reste du film quant à lui bascule progressivement d'un focus sur Fini Straubinger, qui se transforme ensuite en personnage toujours présent mais légèrement distant, être bienveillant toujours vêtu de vert, tâchant de construire comme elle le peut une communauté d'hommes et de femmes fondamentalement isolés, devenant de la sorte une Helen Keller moderne.
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Tyra a écrit :
mar. 11 avr. 2023 17:21

Que veux tu dire par "impressionniste", et pourquoi Katerine ne pourrait pas jouer dedans ? :)
A propos de l’impressionnisme au cinéma, il y a un petit truc ici : https://www.cineclubdecaen.com/analyse/ ... nnisme.htm

Effectivement, à nos jours, film impressionniste ne veut pas dire grand chose mais force est de constater que son film est assez pictural. L'utilisation des images du volcan par ex :

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Quant à la présence de Katerine, je ne sais pas, je le trouvais un chouïa excessif, trop 'acteur', comme si le film veut jouer sur les deux tableaux (et son coté impressionniste, et comédie burlesque (il parle un peu trop, non ? Letourneur lui donne bien plus de temps à l'image qu'à elle-même). Je ne sais pas... (contre-exemple : Bernard Menez dans "Du côté d'Orouët" parle un peu moins, est moins 'central', n'est ce pas ?).
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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Bégaudeau qui parle vraiment bien de "Voyages en Italie" : https://soundcloud.com/la-gene-occasion ... -en-italie
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salut ! :hello:
vu quelques films au milieu de séries :

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Une femme se tue de manière accidentelle en présence de son mari alors que celui-ci venait d'apprendre son infidélité. De peur d'être accusé de l'avoir assassiné, il dissimule l'ensemble, et met sa fille (qui n'est pas la fille de sa femme) au courant. Cette dissimulation va petit à petit l'enfoncer, surtout quand beau-papa va s'en mêler. L'actrice Anne Le Ny s'essaie aussi parfois à la mise en scène, comme avec ce thriller au pitch prometteur mais qui ne parvient pas à convaincre pour autant, tant la mise en scène manque de parti pris et fait ressembler l'ensemble à un téléfilm.

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Je l'ai vu il y a 8 jours et j'ai déjà tout oublié. Pas honteux mais Jordan a fait mieux, et Hoskins cabotine beaucoup trop.

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Adapté de D'Annuzio, le second film de Lattuada est un terrassant chef-d'oeuvre ! magnifique de bout en bout !

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Bazzoni est un cinéaste aussi rare que passionnant (sa Femme du Lac et Journée noire pour un bélier étaient de très belles réussite) mais il va encore plus loin avec Le Orme, film qui s'éloigne du giallo pour rejoindre le thriller paranoïaque d'introspection, quelque part entre Un Papillon sur l'Epaule et l'Antonioni du Désert Rouge. De plus, c'est magnifique visuellement, le chef-op du film étant Vittorio Storaro, ni plus ni moins que celui d'Apocalypse Now. Un seul regret à ce film, qui l'empêche de prétendre au statut de chef-d'oeuvre, c'est sa fin. Si Bazzoni propose tout de même une vraie fin, ce qui n'était pas gagné, elle n'est pas du tout à la hauteur de l'incroyable architecture mentale de son film et le fait, c'est dommage, un peu retomber comme un soufflé. Bon, il n'est pas passé loin du chef-d'oeuvre, mais ça reste tout de même un grand film, d'une folle originalité.

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Du Franco dans ce que ça a de plus caricatural : intrigue inexistante, clichés gothique et érotisme saphiste soft. En un mot, nul !

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Gros moment d'émotion car nous sommes allés voir ce film en famille, tous les 4, et ce n'est que la deuxième fois que cela se produit, c'est donc marquant. Les deux enfants ont littéralement adoré, mission accomplie, mais je dois dire que le film est vraiment très réussi. Ca ne représente évidemment absolument aucun intérêt pour un adulte non accompagnant, même si j'en ai vu plusieurs dans la salle, aïe aïe aïe, mais franchement c'est de très bon niveau. Déjà le fan service est hyper bien rempli, et plutôt que d'essayer de camoufler tout ce qui montre que cela vient d'un jeu vidéo, les auteurs ont décidé de s'en servir et de mettre ces éléments-là en avant, les intégrant au récit et c'est très malin. Sinon le rythme est top, la narration fluide et dynamique, les couleurs superbes, les personnages attachants, les vannes marrantes et bon enfant, c'est un chouette film pour mômes. Le seul petit truc à améliorer le passage du monde réel (un Brooklyn super bien reconstitué, l'un des meilleurs moments du film) au monde virtuel qui se fait sans transition ni explication aucune. Et un dernier mot sur la prod, c'est marrant de voir que c'est une licence japonaise, mais un film américain (tous les codes narratifs ainsi que le sens moral sont ricain 100%) et qu'en revanche quasiment tous les animateurs du film sont français. Je suis qu'on a les meilleurs du monde, mais ça fait plaisir d'en voir la concrétisation.

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Film très important pour moi car je l'avais découvert très jeune avec mon père et qu'il m'avait vraiment beaucoup impressionné. Je le connais vraiment bien depuis le temps, mais je ne l'avais pas revu depuis plusieurs années et j'ai encore adoré cette fois-ci. Même si Delon commence tout juste à Deloniser (il produit et se met en valeur d'une manière outrancière) il est encore très bon, et c'est vraiment pour moi ce qui se fait de mieux en polar à la française de cette période. Le scénario est génial et la mise en scène de Deray excellente, Deray qu'on ne célèbre pas assez mais qui a réalisé une grosse poignée de bons films et celui-ci est l'un de ses meilleurs. Et j'avais oublié un détail amusant, c'est que la célèbre scène de bord de mer (avec notamment la tentative de noyade de Delon) se déroule à Trouville sur Mer, un endroit qui m'est cher.

Ah et un petit mot sur une série qui a sa place ici :

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Assayas décide de refaire l'un de ses meilleurs films en format série télévisée plus de 20 ans après. Belle idée, mais assez mal transformée dans le sens où cette série n'apporte strictement rien de plus par rapport au film, et que l'ensemble se perd assez souvent en bavardages interminables. C'est toc et vain comme un beau produit de luxe, mais ça signifie qu'il y a plein de choses agréables dedans aussi, certains acteurs, une légèreté presque frivole, mais voilà, ça ne fait pas non plus une grande oeuvre et il faut mieux revoir le film je pense.
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C'était mon Assayas préféré (avec Demonlover) et j'avais littéralement adoré à sa sortie. Un tout petit peu déçu lors de ce revisionnage, je crois qu'à la fois j'en attendais trop et que je suis un peu passé à côté. Je crois qu'il me faudra le revoir une troisième fois pour un avis définitif. Quoiqu'il en soit c'est un très bon film, et je pense qu'Assayas est le seul cinéaste français capable de réussir aussi bien des films en langue anglaise se déroulant aux 4 coins du monde.

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C'est très correctement mis en scène (Tessari aidé de Fernando di Leo) et il y a une superbe musique de Morricone, tout ceci réhausse l'ensemble, mais sinon le film ne se démarque malheureusement pas du niveau western spaghetti de base, à l'intérêt plus que limité.
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Une jeune romaine manucure de profession se rêve actrice et ira de désillusion en désillusion, aussi bien dans sa réussite professionnelle que dans ses rapports avec les hommes, ne rencontrant que des mufles. Scénariste pour les plus grands (Visconti, Rossellini, Lattuada, Germi, Blasetti, L'Herbier, Camerini, Lizzani...), Antonio Pietrangeli était aussi cinéaste (une grosse douzaine de films à son actif), et je découvre donc qu'il était un très grand cinéaste, tant ce "Je la connaissais bien..." qui est sans doute son "tube" est un film absolument prodigieux, d'une grande beauté, d'une grande cruauté (la fin est l'une des plus dures, brutales, du cinéma italien), d'une mise en scène incroyable, d'un sens du cadre prodigieux, et qui plus est un très grand directeur d'acteur. Je suis un grand fan de Stefania Sandrelli, et je peux dire qu'il s'agit ici de son plus beau rôle. Elle est sublime, magnifiée par un scénario extraordinaire (co-écrit notamment avec Ettore Scola) et par une mise en scène qui virevolte autour d'elle et qui en fait le centre de chacun de ses plans. Bref, un chef-d'oeuvre du cinéma italien (qui en compte tant), et il me tarde de découvrir les autres films de Pietrangeli.

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Un frère et une soeur débarquent dans un château gothique occupé par une bande de meufs qui organise des cérémonies rituelles sataniques et saphiques et qui comptent bien pervertir les nouveaux arrivants. Ca n'est pas loin d'être complètement con, mais Joe Sarno, aguerri en la matière sauve le truc car il y croit, et crée une ambiance où l'érotique se mêle en permanence à l'étrange, baignant en permanence dans un DIY du à un évident manque de moyens mais qui contribue à rajouter de la bizarrerie à l'ensemble. C'est une parfaite version d'un Jean Rollin à l'américaine (même si le film est une production allemande).
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On ressent de l'envie chez Argento, on a vraiment l'impression qu'il y croit de nouveau et ça fait plaisir à voir. Il est aidé par la musique d'Arnaud Rebotini qui fonctionne bien sur le film (parfois elle sauve des scènes), par quelques fulgurances graphiques et un goût du sanglant qui est revenu à son beau fixe, mais le film ne prend pas pour autant et est même souvent gênant, à cause d'une mise en scène trop légère, un travail de chef-op très contrasté mais qui fait presque video amateur parfois, des comédiens vraiment cheap et un scénario qui ne tient absolument pas la route, dont chaque élément peut être démonté à chaque instant. ça ne me gêne pas tant que ça dans l'absolu, mais il faut que ce soit compensé par des fulgurances de mise en scène, pas assez présentes ici. Ce n'est pas la honte absolue non plus, je l'ai même vu avec plaisir, mais ça m'a fait le même effet qu'avec le dernier De Palma en date, Domino (même si Domino est quand même largement mieux) : en gros, y a tous les éléments, toutes les intentions de la grande époque, mais ça ne prend pas.
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Sur l'Adamant, Nicolas Philibert

Un film sans regard, sans perspective, sans dialectique. Nicolas Philibert montre des psychotiques en train de compter des sous et dessiner. Parfois ils parlent, et Philibert coupe dans le tas de leur parole pour tenter de la normaliser un petit peu.
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Tiens, je vais nuancer ce que j'ai écrit juste au-dessus : en fait le film de Philibert n'est qu'une première partie. Je pense que les deux qui vont suivre rendront le point de vue plus intéressant. Mais c'est tout de même bizarre d'avoir tout compartimenté de cette façon...

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La Colline, Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova

Quelques personnes, rebuts de l'Histoire récente, vivent sur un tas de déchets, parmi les chats, les chiens et les corbeaux, à quelques kilomètres de la capitale du Kirghizistan. Ils sont ceux dont plus personne ne veut, héros de guerre trop sanglantes, êtres entre-deux-âges, personnes dont la colère ne s'est jamais émoussée... Le film est beau, très empathique, la caméra scrute tout avec une très grande attention, un intérêt pour ce qui vit, ce qui se vit, ce qui surgit, ce qui ne peut pas tout à fait s'effacer.
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De Michele Soavi, réal qui est aussi acteur, j'apprécie beaucoup Bloody Bird et Dellamore Dellamorte, deux films qui à leur façon réinventent un peu le concept de l'horreur à l'italienne. La Secte, produit et coécrit avec Argento, est l'un des deux Soavi réalisés entre ces deux films. Il y a la même originalité, la même science du cadre, mais j'avoue que j'ai assez vite décroché, notamment à cause d'un scénar qui peine à retenir l'attention. À voir tout de même si on est fan du genre.

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La Rose Ecorchée est une relecture en film d'horreur 70s très légèrement érotique des Yeux sans Visage de Franju. Merci au Chat qui Fume d'avoir réhabilité en sortant plusieurs de ses films un réalisateur qui avait disparu des radars à la carrière la plus étrange qui soit. Mort à seulement 44 ans (à St Tropez !) Il a réalisé plusieurs films bis visiblement très bon, avec un sens aigu de la mise en scène et ne sombrant jamais dans la facilité, mais a aussi été scénariste de plusieurs films de Max Pecas (sic) ainsi que réal de films de boules, dont plusieurs gros tubes du genre comme Le Sexe qui parle ou La Femme Objet. Apparemment il n'aimait pas ça et préférait largement ses démons gothiques qui sont il faut bien l'avouer assez convaincants.

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Un des plus beaux films du monde, que j'ai déjà vu bien 15 fois, qui ne s'use jamais et dont la lecture ne cesse de s'enrichir au fil du temps. Historiquement je pense que c'est un des films les plus importants qui aient été faits d'ailleurs, ayant contribué, certes pas lui tout seul mais bon, à changer le cours de l'histoire et rétablir la vérité. Cette nouvelle vision fut motivé par la toute récente sortie du copieux coffret consacré au film pour le 60ème anniversaire de l'assassinat de JFK. Outre le film en director's cut de 3h25 (que certes je possédais déjà) le coffret comprend aussi le film documentaire sorti par Stone il y a deux ans, essentiel lui aussi car le temps passé, et le retentissement du film, ont permis l'ouverture des archives, ainsi que la série documentaire, version longue du film et elle totalement inédite. Inépuisable.

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Les limites du Chat qui Fume ! c'est par exemple la sortie et la restauration d'un nanar pareil, signé Jean Rollin sous un pseudonyme, sous le titre plus vendeur (quoique) de Bacchanales Sexuelles. Ce n'est rien d'autre qu'un porno soft early 70's totalement pourri.

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Là-aussi, un nanar érotique signé Franco, comme il en a fait des dizaines. Ce film a longtemps été considéré perdu, était-ce bien la peine de le retrouver... ? C'est tout de même un peu mieux filmé que le Rollin évoqué précédemment, mais rien de plus. J'aime seulement le fait que Franco a fait tant de films, dans des conditions de production tellement cheap, que certains de ses films sont ou ont été perdus. Cette idée me plait, les films perdus sont généralement les premiers Ford, Ozu, Stroheim... mais qu'on parle de films perdus pour des trucs si récents, j'aime l'idée. Dommage que les films retrouvés soient si décevants...
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ATTENTION énorme SPOILERS dans ce texte.
Une lycéenne fan de danse et de K-Pop fait un stage dans une entreprise filiale des Télécom locaux, et se retrouve avec un job d'employée téléphonique, chargée de tout faire pour empêcher les résiliations d'abonnements. Son travail est dur, épuisant, mais elle est payée comme une stagiaire, c'est à dire peanuts, et ne touche aucune des primes auxquelles elle devrait avoir droit. Le harcèlement est un jeu malsain mais quotidien, et son responsable ne supportant plus ces rapports de domination imposés par la direction, se suicide. Très marquée par cela, et étant encore plus harcelée par sa nouvelle responsable, la jeune fille va peu à peu décliner, s'enfoncer dans la dépression, pour finir par se suicider également. Le film pourrait s'arrêter là, il serait déjà très bon, mais la réalisatrice, dont j'avais déjà beaucoup apprécié son premier film, A Girl At My Door en 2014 (mais pourquoi a-t-elle mis 8 ans avant de pouvoir faire un nouveau film ?) ne s'arrête pas là. En effet on en est à la moitié seulement, et comme ça arrive souvent dans le cinéma coréen, on change tous les paradigmes, y compris de protagoniste, et on part sur une seconde partie radicalement différente. L'héroïne est désormais une inspectrice de police, l'excellente Doona Bae, déjà actrice du premier film de July Jung, qui refuse de classer l'affaire comme on le lui impose, mais qui continue d'enquêter. Face à la douleur des parents, elle refuse de considérer que ce suicide intervient sans raison, et va tenter de remonter à ce qui ressemble à un scandale d'état. Les élèves sont littéralement fourgués en entreprises sans formation préalable, les lycées marquant des points plus leur taux d'embauches sont élevés. Elle ira jusqu'au rectorat, puis au ministère de l'éducation, mais se confrontera chaque fois à un mur. Car c'est toute la société coréenne qui est construite avec des règles de performances et de classements, poussant chacune des institutions, chacun des individus, à avoir les meilleures statistiques possibles. Le film se termine sur un constat d'échec, ultra amer, super triste, sur l'image de cette jeune fille sacrifiée, fauchée par la société avant même d'avoir vécue sa vie. C'est un film très beau, qui m'a beaucoup marqué, et qui ne joue jamais la surenchère. L'affiche française semble vouloir signifier que ce fait divers est bien réel, mais qu'importe, la cinéaste ne cherche jamais à faire son "d'après une histoire vraie", et cette histoire, qu'elle soit tirée d'un fait divers réel ou pas, est malheureusement universelle et pourrait se dérouler partout et n'importe quand, puisqu'elle est le symptôme d'un disfonctionnement des sociétés capitalistes.

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Deux frères éleveurs, lors d'un soir de beuverie foutent le feu à leur exploitation. En fait c'est l'un des deux qui fait ça, car il sait ses vaches malades et monte une petite arnaque pour toucher la prime de l'assurance. Sauf que c'est l'autre qui ne sait rien de tout ça qui ira en taule parce que l'incendie a tué un vagabond qui squattait l'étable. 10 ans plus tard, il sort de taule, et retrouve son frère, désormais marié et père d'une petite fille. Il s'installe dans cette famille sans demander l'avis à personne, et les démons se réveillent, l'implosion couve... Patricia Mazuy, cinéaste que j'aime beaucoup, est dans sa veine énervée et sauvage (comme son dernier plutôt raté Bowling Saturne) et même si je préfère largement sa veine posée (Travolta, Paul Sanchez, St-Cyr), il faut dire que Peaux de Vaches est tout de même très réussi, et ressemble d'ailleurs pas mal aux films réalisés par son acteur principal, Jean-François Stévénin. C'est fou, libre, plein de rage et de coup de sang parfois maladroits mais toujours très sincères.

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Colin-Maillard - Patricia Mazuy (1982)

En 1982, à 22 balais donc, Patricia Mazuy filme son grand-père paysan, enregistre ses souvenirs, notamment de la guerre, et se met également en scène à ses côtés. Evidemment c'est du premier jet, brouillon et maladroit, mais on sent déjà sa fougueuse personnalité.

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Des Taureaux et des Vaches - Patricia Mazuy (1992)

Un doc TV sur la race bovine, envisagée majoritairement du point de vue agricole, donc de l'élevage et de la reproduction. Malheureusement ici, la patte de cinéaste de Mazuy est totalement absente.

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Claude Mulot a réalisé ses films porno sous le pseudonyme de Frédéric Lansac. Ici c'est un film on va dire érotique, et il prend un autre pseudo pour le réaliser (je l'ai déjà oublié et je crois qu'il ne l'utilisera que très peu) et crédite Lansac au scénario (et je crois à la production). Le film est moins convaincant que La Rose Ecorchée, mais vaut beaucoup plus qu'un érotique d'M6. D'ailleurs, les scènes de cul sont les trucs les plus chiants du film, les plus datés et intéressants, où l'on se permet de la petite musique funky et rigolote sur des scènes de viol... ce genre... Non il vaut mieux se concentrer sur le trio de protagoniste, un fils de bonne famille, déchu mais toujours plein de pognon, dilettante qui s'entoure de deux paumés, un mec, une fille, et ce trio d'oisifs jouisseurs va peu à peu basculer dans la délinquance, jusqu'à commettre des meurtres, tout ça à cause d'un trauma initial : le fils de est impuissant, et ça lui cause bien des tourments. C'est plutôt bien filmé, on sent que Mulot a des choses à dire, un vrai sens du cadre, mais il est trop dépendant des contraintes de production de ce type de cinéma de l'époque pour pouvoir réaliser une vraie oeuvre personnelle, c'est dommage.
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groil_groil a écrit :
mar. 25 avr. 2023 12:19
Car c'est toute la société coréenne qui est construite avec des règles de performances et de classements, poussant chacune des institutions, chacun des individus, à avoir les meilleures statistiques possibles.
J'ai toujours dit que cela est une des raisons pourquoi la Corée du Nord existe toujours (je n'ai pas dit LA raison. Mais c'est sur que s'en est une des raisons)
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Attation, ça spoile.
Le convoi de David, jeune militaire engagé au Mali, saute sur une mine. Il est rapatrié en France dans le coma. Sa soeur vient à son chevet, elle est visiblement sa seule famille. Le jeune homme se réveille une semaine plus tard, traumatisé à tous les égards, et doit tout réapprendre, à parler, à marcher, à penser et à panser ses blessures de grand brûler. Il doit aussi retrouver la mémoire car il se réveille amnésique. Ces scènes de réapprentissage sont parmi ce qu'il y a de plus réussi dans le film, c'est filmé de manière très programmatique, l'une succédant à l'autre, et laissant bien comprendre combien il est difficile de se remettre de ça. Il part ensuite en convalescence chez sa soeur, qui loue une petite dépendance d'un château en semi abandon appartenant à un riche travesti désargenté et bougon. Une fois guerri, David reste pourtant chez sa soeur en attendant de retrouver peu à peu la mémoire, mais comme il n'a plus de souvenir d'elle, a tendance à plus se comporter comme un amant que comme un frère. Ce qu'il ignore encore, c'est qu'ils ont été amants et que ce couple de frère et soeur est un couple incestueux. Lorsque j'ai vu que Téchiné sortait un nouveau film, le premier truc que j'ai voulu vérifier c'est si il travaillait toujours avec Sciamma au scénario. Ce n'est plus le cas, Cédric Anger l'accompagne ici, et ça m'a suffit pour me motiver à aller le voir. J'ai bien fait, c'est un film très beau, très réussi, avec une mise en scène très affirmée, très belle, que je n'avais pas vue chez lui depuis longtemps. Etonnant de choisir un sujet comme l'inceste, et surtout de ne pas le traiter frontalement tout en le laissant contaminer le film peu à peu et créer une vraie sensation de malaise. Le spectateur n'est pas pris au piège pour autant, trouve sa place, d'autant que le sujet du film est comment sortir de ça pour reprendre des rapports normaux de frère et soeur. C'est complexe, intense, parfois un peu bancal, très bien interprété par l'ensemble des comédiens, et surtout la musique téchinéenne est de retour au meilleur de sa forme, Téchiné est un auteur si discret qu'on a parfois tendance à l'oublier, mais il est toujours là et bien là.

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Je ne sais pas pourquoi j'ai besoin de revoir ce film aussi fréquemment, mais il est pour moi, aux côtés de deux ou trois autres, parmi les plus importants des films américains de divertissement de la fin des 80's. Je l'associe souvent à La Mort vous va si bien de Zemeckis, les deux fonctionnant parfaitement ensemble et se répondant sans cesse. Les Sorcières d'Eastwick c'est pour moi l'incarnation d'un rêve hollywoodien, qui n'existe plus depuis belle lurette mais dont les 80's pouvaient encore parfois en prolonger l'illusion. Ce film est le miroir de ça, ainsi que celui de souvenirs personnels vers lesquels il me replonge instantanément.

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Une jeune femme entretient une relation incestueuse avec son beau-père et ensemble, et après qu'il lui ai fait lire Sade, ils décident de commettre des meurtres gratuits, transformant le crime en geste artistique. Ah, voilà un Franco plus inspiré, habité, ça fait plaisir à voir, plaisir de voir un cinéaste qui croit en ce qu'il filme et qui crée des ambiances vraiment dérangeantes, malsaines, mais toujours extrêmement foisonnantes d'idées, et il est aidé en cela par la belle BO de Bruno Nicolai.
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asketoner
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Chien de la casse, Jean-Baptiste Durand

Excellent film qui cherche un tout petit peu trop à se résoudre (à la fin), mais qui par moments éblouit par la façon dont quelque chose du réel vient sans cesse se frotter à l'écriture, aux cadres, au jeu des comédiens. Il y a une beauté qui semble juste, un peu à part, extrêmement sombre. Et pourtant tout est vivant.
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sokol
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asketoner a écrit :
lun. 19 déc. 2022 12:21
sokol a écrit :
lun. 19 déc. 2022 12:08
Chouga (2007) n’était pas académique ! Mais je n’ai pas pu voir L’étudiant (2012)
Je trouve un peu, si. Ses plans me font l'effet d'une salle de classe bien tenue, avec des élèves traumatisés qui n'osent pas bouger pendant la leçon.
J’ai vu L’étudiant. C’est un remake de ‘L’argent’ de Bresson.
J’ai bien aimé mais comment dire… oui, c’est un film de prof.
Et c’est bien pourtant.
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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sokol
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asketoner a écrit :
sam. 29 avr. 2023 11:15
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Chien de la casse, Jean-Baptiste Durand

Excellent film qui cherche un tout petit peu trop à se résoudre (à la fin), mais qui par moments éblouit par la façon dont quelque chose du réel vient sans cesse se frotter à l'écriture, aux cadres, au jeu des comédiens. Il y a une beauté qui semble juste, un peu à part, extrêmement sombre. Et pourtant tout est vivant.
Je l’ai vu hier aussi. Je l’ai oublié aussi vite que je suis sorti du cinéma.
Terrible
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asketoner
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Dirty Difficult Dangerous, Wissam Charaf

C'est exactement comme Kaurismaki et Chaplin, jusqu'à ce plan final revisitant celui des Temps modernes, où les deux amoureux deviennent de plus en plus petits en s'enfonçant dans le monde. Je regrette parfois un manque d'inventivité, notamment dans l'hôtel de luxe, où la présence des deux vagabonds ne crée pas grand chose.
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cyborg
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Le voyage d'un jeune compositeur - Giorgi Shengelaia - 1985

Découverte du cinéma de Shengelaia par cet étrange film qu'est "Le voyage d'un jeune compositeur". Étrange car rien semble n'y être clairement énoncé : tandis que le personnage principal part dans la Géorgie profonde pour visiter de lointains parents, nous apprenons qu'il désire enregistrer tous les chants folkloriques locaux pour écrire ses mélodies. Le long du chemin il sauve un homme mal en point, qui deviendra l'élément moteur du film. Celui-ci est en effet persuadé que le jeune homme traverse le pays pour y semer les graines d'une révolution populaire... D'abris de fortune en maisons de maitre, de paysans en boutiquiers, le film est une longue série de rencontres tandis que rode la police secrète qui finira par anéantir tous les lieux visités.
Porté par une cinématographie et des visuels hors-pair (ours d'argent à la berlinale 86, amplement mérité), le film se caractérise par une paranoïa délétère suintant à travers chaque image du film, au point ou le spectateur en vient à douter lui même de ce qu'il est en train de voir. Bien que réalisé au début des années 80, le film est situé au tout début du XXème siècle. Il semble ainsi évoquer tant les tensions révolutionnaire d'alors, les hésitation entre le nationalisme et la future "grande russie", que celles contemporaines à la création du film alors que l'URSS est sur le point de s'écrouler. Ce qui était alors peut-être plus lisible lors de la sortie du film n'en est que plus obscur encore 40 ans plus tard. Rarement un film ne m'aura paru aussi abscons que fascinant.

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Chronique d'un enfant seul - Leonardo Favio - 1965

Le film est composé en deux grands blocs. Le premier : la maison de correction puis la prison, ou l'on suit un groupe de jeunes garçons, puis seulement l'un d'eux. La mise en scène est raide, sèche, géométrique, contraignant incroyablement les espaces par ses choix de cadrages et de temporalités. Le deuxième : la nature, l'échappée folle le long d'une rivière, ou le même garçon déambule, le soleil à même sa peau nu, observant faune et flore, dans une mise en scène ample et généreuse. Entre ces deux pôles : le bidon-ville, passage central du film ou se dévoile la réalité d'une vie misérable d’où est originaire le jeune personnage. C'est également en ce lieu que le film se conclura tandis que l'enfant, pris de compassion, essaie de libérer un cheval de trait pour lui rendre sa liberté, geste qui le mènera malencontreusement à retourner en maison de correction. Conclusion ô combien symbolique pour un film confrontant frontalement la politique autoritaire régnant alors en Argentine. Portant en lui les graines de la révolte, il n'est pas étonnant que ce film fut longtemps censuré par les autorités en place.

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Pirosmani - Giorgi Shengelaia - 1969

Si Edvard Munch, la danse de la vie de Peter Watkins est probablement le meilleur "biopic" de l'histoire du cinéma, il trouve en Pirosmani un sérieux concurrent. Le film s'intéresse lui aussi à la vie d'un peintre mais les comparaisons s'arrêtent là tant les deux films diffèrent du tout au tout dans leurs choix de mise en scène.

Dans un style très géorgien (difficile de ne pas penser à Paradjanov notamment) Shengelaia adopte un style plutôt fixe, d'images composés à la manière des peintures de Pirosmani. Pirosmani est un peintre brut, naïf, libre d'esprit et parfois antipathique. Nous ne le verrons qu'une seule fois en train de peindre, alors qu'il réalise une toile qui lui a été commandé. Le reste du temps nous le voyons peindre des enseignes, tenir son épicerie, participer à des fêtes traditionnelles ou errer dans la campagne. Malgré cela ses peintures sont tout le temps présente à l'écran : elles apparaissent sur les murs de la ville ou des café qu'il fréquente, il les déplace et les transporte d'un lieu à l'autre. Et parfois même elles surgissent en insert sur fond noir. Shengelaia ne s'intéresse donc pas au fameux "processus créatif", si souvent infigurable au cinéma et ennuyant au possible, mais à la réalité d'existence des images crée par l'artiste. Les choses se répètent et se recomposent, d'une cérémonie à une toile, d'un paysage traversé à un aplat de couleur. Il y a un "devenir-image" de tout le film de Shengelaia, comme il y a un "devenir-image" de tout le monde entourant l'artiste, et c'est dans ces rapports que tient tout le film.

Mais ce point de jonction s'effrite et ses peintures finissent par disparaitre : elles n'ornent plus les devantures ni les restaurants, les gens s'en séparent et bredouillent des excuses. Elles ne plaisent plus et Pirosmani, désormais âgé, de retrouver sa place d'inadapté. On lui dit qu'il ne sait pas peindre, lui qui a pourtant tant figuré le monde autour de lui : il doit évoluer, il doit apprendre désormais à peindre correctement. C'est ici la modernité qui toque à la porte : celle technique (je songe à une scène ou est prise une photographie de groupe) mais aussi celle révolutionnaire où l'art doit glorifier et porter la cause politique pour transformer le monde -nous sommes dans les premières décennies de l'URSS . Et les intuitifs et libres-objets tel Pirosmani et ses images n'ont alors plus de place à y occuper.


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Monte Hellman est l'auteur du magnifique "Macadam à deux voies" et du fascinant 'Cockfighter", tandis que le reste de sa filmographie (pour ce que j'en ai vu du moins) semble moins abouti, bien que délivrant d'intéressants objets de cinéma. Iguana appartient à cette catégorie.
Iguana est un harponneur grossièrement défiguré : la moitié de son visage ressemble à de la roche. C'est cette ligne de séparation entre un visage minéral et un visage humain qui sert de ligne d'équilibre au film. Après une dernière série de tortures, Iguana s'échappe de son bateau et nage jusqu'à une ile déserte, aussi rocheuse et aride qu'une partie de sa figure. Il décide d'y fonder son propre royaume, qu'il conçoit de façon dictatoriale, réduisant en esclavage tout ceux passant par son île, tuant, torturant, violant le moindre de ses congénères. Mais pourtant il fait preuve d'une certaine sensibilité, cherchant à apprendre à lire, mais aussi à "avoir une descendance" (gasp). Mais tandis que le film est doté d'un potentiel énorme, sorte de Robinson Crusoé violent et radical, rien ne prend jamais, semblant s'égarer parmi toutes les pistes ouvertes. Ce qui aurait pu être un grand film sur la figure des inadaptés sociaux fini par se trainer lourdement en longueur, faisant preuve d'une étrange complaisance pour la violence de son personnage principal. Dommage.
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Tamponn Destartinn
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Le sujet est passionnant et le film arrive à en être à hauteur.
Oui, il y a un côté "reportage" dans les interviews face cam (pour réagir à ce qu'en dit Ask), mais ça fait parti d'un ensemble cohérent et fascinant, un récit à la structure parfaitement harmonieuse pour parler de l'oeuvre et vie d'une artiste engagée. A mes yeux, il y a bien plus de Cinéma dans ce film que dans Sur l'Adament de Philibert, par exemple.


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Un Raphael Quenard Show. L'acteur mérite à être connu, je suis content qu'il ait ce rôle qui lui va très bien. J'espère que le succès ne va pas le rendre fatiguant à la longue, on verra bien.
En attendant, ce que le film a aussi pour lui, ce sont des thèmes pas si classique que cela, comme la jeunesse des petits villages ou l'amitié toxique, et il les aborde bien. Du cinéma d'écriture et d'acteurs avant tout, mais qui vaut le coup.


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Le cinéma japonais est très fort pour iconiser des objets improbable (et pas que l'animation)
Ici, un tabouret à trois pieds, dans lequel est enfermé le BG du film, et qui passe le film à courir après son antagoniste : un chat ultra mignon.
Comme pour Your Name, je trouve qu'on est pas au niveau des Miyazaki, Kon ouHosoda, mais il est tout de même évident que Makoto Shinkai mérite son statut de nouveau patron du genre.
A côté, j'ai vu SuperMarioLeFilm, et ça rend Suzume encore plus précieux.
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asketoner
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Burning Days, Emin Alper

C'est un polar très écrit, aux scènes qui s'étirent sans scrupule pour faire monter une tension clairement orchestrée. Mais il y a aussi les arrangements qui vont avec, les idées gratuites, les coupes qui facilitent tout et l'arbitraire toujours aux commandes de la recherche d'un effet. Ca marche plutôt bien, ce n'est pas désagréable, mais c'est tout.
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asketoner
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Disco Boy, Giacomo Abbruzzese

On dirait Under the skin, il y a un même soin accordé à l'image (mais pas au son, ce qui est assez bizarre) qui rend le film plutôt plaisant à regarder, malgré une mystification manifeste et une lourdeur d'ensemble que l'esthétisme ne parvient pas trop à soulever. J'ai bien aimé la troupe des légionnaires qui reprend en choeur une chanson d'Edith Piaf, ça m'a fait rire. Mais sinon, c'est très plat. On attend que quelque chose se mette à danser, mais on se contentera de regarder des bras s'élever au-dessus des personnages dans une sorte de ferveur post-religieuse où la transe n'advient jamais.

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Showing Up, Kelly Reichardt

Voilà un joli film démystificateur, qui raconte exactement le contraire de ce que prétend l'affiche ("l'art naît du chaos"). Kelly Reichardt s'entête à montrer l'ordinaire de la vie d'artiste, sans en nier les enjeux, mais sans dramatiser outre mesure (ou bien alors jamais au bon endroit, comme dans la vie : le drame éclate autour de la chaudière au lieu d'aborder la question du frère psychotique qui prend toute la place, toute l'attention et tout l'amour de la mère).
Le récit est très beau, tentant de saisir ce que pourrait être une journée (un peu comme Paterson de Jim Jarmusch), ce qu'elle a de remarquable, et la façon dont elle se trouve non pas traitée mais transformée par l'oeuvre en cours. Il n'y a pas de résolution au sens fort du terme, et pourtant on sent ce que le temps fait à l'héroïne, comment la semaine la déplace légèrement, comment elle évite encore de justesse le bord du gouffre, et comment elle ne sort grandie de rien, simplement plus âgée, chargée de vie et de fatigue, d'histoires sans fin et d'instants suspendus.
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yhi
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Dommage pour Disco Boy, je n'en attendais rien et je n'y suis allé que par curiosité pour la bande son faite par Vitalic (qui est plutôt moyenne finalement) et je ne regrette pas du tout. Le film déjoue énormément les attentes et arrive à faire naitre l'émotion comme ça (le passage avec la journaliste est lunaire entre elle qui est aussi à l'aise que si elle était posée chez elle dans son fauteuil et les rebelles qui se tapent dans le dos après avoir fait les gros durs). Ca tente pas mal de choses, certaines tombent un peu à plat, mais d'autres sont d'excellentes idées (l'abolition de la couleur de peau par la caméra infrarouge) et même si c'est loin d'être parfait j'aime cette envie d'essayer.
la transe n'advient jamais.
La fin on la connait, c'est celle de Beau travail :D , déjà l'hommage est déjà un peu trop appuyé, j'ai trouvé ça plus sage de lancer le générique à ce moment là, bien que ce soit peut être un refus d'obstacle.
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B-Lyndon
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À la fin, l'amour nous attend
Un texte sur Jeanne Dielman.


L’an dernier, c’est La Maman et la Putain qui ressortait dans les salles, cette année c’est au tour de Jeanne Dielman, que je n’avais jamais vu sur grand écran. Deux films évidemment très différents, mais en même temps semblables par leur durée monstre, la révérence cinéphile qu’ils provoquent, la crainte qu’ils inspirent ou les moqueries qu’ils engendrent lorsqu’ils sont toisés d’un peu trop loin. J’ai un souvenir ému de l’année de mes 16 ans et de leur découverte, sur l’ordinateur de ma chambre adolescente, dans les années forcément solitaires de la cinéphilie naissante. De ce que ces deux films m’ont appris. De ce qu’ils ont ouvert en moi. De ce qu’ils m’ont laissé entrevoir de ce que pouvait être le cinéma lorsqu’il se désenchaînait lui-même des ordres tacites qui le réduisent, le diminuent. Tout d’un coup, quelque chose est devenu possible. Ces deux films, je les ai beaucoup revus, rêvés, disséqués. Si bien qu’en retournant les voir est venu poindre la crainte de trop les connaître, de ne plus parvenir à entretenir un rapport charnel à eux. Il n’en est rien.

D’abord parce qu’il me semble que ce qui lie en premier lieu les deux films, c’est l’adéquation rare entre leur modernité formelle et la qualité de l’émotion qu’ils provoquent. Dans Jeanne Dielman, il nous faut quelques minutes, sur 3h20 de film, pour avoir accès au catalogue des axes de caméra capturant l’appartement de Jeanne Dielman et dont Akerman ne déviera jamais. Mais parce que la cinéaste offre d’emblée à notre regard la couverture totale de cet espace, peu à peu nous finirons par laisser derrière nous la tranquille distance depuis laquelle nous observions Jeanne Dielman et l'impressionnant tissu formel dans lequel le film la saisit. Peu à peu, sans nous en apercevoir vraiment, nous finirons par avoir l’impression d’être là, avec elle, assis sur le fauteuil d’en face. Akerman invente une forme, mais comme l’immense cinéaste qu’elle fut, ne s’en contente à peine, il lui faut créer une empathie nouvelle. Je voudrais surtout écrire à partir de cela : en revoyant le film, que je pensais bien connaître, j’ai été surpris par la force de ce qu’il nous amène à ressentir pour son personnage central. Un sentiment, jamais ressenti jusqu’alors, à l’égard de quelqu’un. Une tendresse inédite. Une émotion rare, et digne, d’une puissance irréductible. Comment la nommer, la décrire, comprendre ce qui la fait arriver et tout emporter sur son passage ?

Je crois que le film nous revient masqué, mal déguisé par son nouveau statut écrasant. Il ne suffit pas de grand chose pour y aller plombé : son synopsis, sa durée, les arguments d’autorité critique, évidemment nécessaires, contextualisant à outrance le film pour décrire son importante dans l’Histoire du cinéma, ou son élection récente au titre de Meilleur-Film-De-Tous-Les-Temps au sommet du panel Sight et Sound. On dit depuis longtemps, et de façon peut-être plus audible aujourd’hui, que Jeanne Dielman serait assurément un film qu’il faut avoir vu, mais qu’il constituerait une épreuve. De fait, c’est un film qui nous a beaucoup aidé à compter l’ennui comme sentiment valable dans l'expérience d’un spectateur. Auquel on se voyait souvent rétorquer le fameux : “oui, d'accord, c’est magnifique, mais c’est un peu chiant quand même”. Si on voit Jeanne Dielman, si on le voit vraiment, on s’aperçoit que même à cela, le film résiste, quand tant d’autres films aimés de cinéastes réputés difficiles n’y résistent, eux, pas toujours.

Il faudrait dire cela, une bonne fois pour toute :Jeanne Dielman est un film incroyablement ludique, palpitant, et même parfois plaisant à voir. Il est parfois drôle, parfois pathétique et tragique. C’est un film qui est toujours plus fort que les clichés qu’on a de lui, d’abord parce qu’il est infiniment secret, à chaque instant à la fois familier et incongru. Je pensais domestiquer (je ne choisis pas le mot au hasard…) l’ampleur formelle du film et le sens qui s’en dégage, je m’aperçois à le revoir que toujours quelque chose me dépasse. C’est peut-être ce qui le lie de nouveau au film d’Eustache : leur mystère, toujours intact à chaque nouvelle vision. La façon dont le récit se dérobe toujours aux souvenirs qu’on croit les plus précis. Si, dans La Maman et la Putain, c’est l’implacable conduite du récit qui m’avait à nouveau frappé, sa façon d’avancer sans en avoir l’air, c’est presque l’inverse qui me frappe ici : à partir du fameux ratage de la cuisson des pommes de terre, j’avais le souvenir un peu facile d’une implacable mécanique burlesque, d’un enchaînement redoutable d’évènements et de non-évènements débouchant sur cette fameuse heure de trou, fatale à l’équilibre du royaume ménager institué par Jeanne Dielman. Mais tous ces éléments dramatiques sont en réalité beaucoup moins “payants” les uns par rapport aux autres que dans mon souvenir.

Un exemple me frappe. Dans une séquence du film, la voisine du dessus, incarnée en off par la jeune Akerman, vient récupérer le bébé que chaque jour Jeanne Dielman garde gentiment chez elle. Ce jour-là, tout d’un coup ça lui prend : elle se met à raconter sa vie, ses petits problèmes, ses dilemmes domestiques, quoi faire à manger pour nourrir la famille. Jeanne Dielman fait mine d’écouter, mais le sourire figé, le pied qui trépigne, la main bien harnachée sur la porte, traduit son impatience que tout cela cesse. Et puis finalement la voisine se tait, Jeanne Dielman ferme la porte, sort du cadre. Une autre séquence maintenant, plus tard dans le film. Jeanne Dielman cherche à combler le trou qui s’est installé dans son emploi du temps, et s’occupe désormais d’une vieille veste dont un bouton manque. Elle se retrouve chez une vendeuse, et ça lui prend à son tour : sa voix s’élève, elle se met à raconter sa vie, des petites choses insignifiantes sur la veste, cadeau de sa sœur au Canada. La vendeuse hoche la tête, attendant que ça passe.

Dans mon esprit, le sens de la juxtaposition de ces deux scènes était très clair : Jeanne se vengeait. Vengeance minuscule, dérisoire, mais qui instituait le débordement de la parole d’autrui comme terrifiante menace pour ce quotidien bien réglé. Débordement contre lequel il fallait à tout prix prendre les armes, envahir la vie d’une autre de sa propre parole, la retarder à son tour, se venger de ce petit temps perdu. Je pensais que ces deux scènes étaient rapprochées dans la structure du film, elles sont en réalité bien plus éloignées dans le temps. La vengeance en tant que telle n’est pas nommée. Peut-être que cela n’a rien à voir. Peut-être que Jeanne se sentait tout simplement de parler un peu plus, à ce moment-là. C’est du reste comme dans la vie : parfois les taiseux se mettent à parler. Ça dure quelques instants, on est surpris et émus. On se dit : “tiens, quand X s’y met, c’est comme ça qu’il articule un enchaînement de phrases”. Il sort de la place bien définie à laquelle on l’assignait. Il échappe du grand récit qu’on se faisait de lui.

Il me semble que le film tient ce double-mouvement tout du long, avec une grande finesse d’écriture. Le lecture de ces deux scènes à l’aune d’une micro-vengeance n’est pas du tout invalidée par celle d’une soudaine prise de liberté de Jeanne par rapport à l’image qu’elle aime à donner d’elle-même. On peut penser à l’une ou l’autre des ces deux lectures. On peut penser aux deux en même temps. En tout cas, on pense. Un film-concept, un objet d’art, une installation, Jeanne Dielman ? Plutôt un des plus beaux scénarios jamais porté à l’écran, mais qui à aucun moment n’amoindrit la singularité de l’expérience plastique. Akerman ne sacrifie jamais le plaisir de l’observation du temps et de l’espace quotidien de son personnage à la tragédie intime qu’elle met lentement en place. Ça respire. Ça ne se répond pas toujours. Le réveil sonnait trop tard ? Demain il sonnera trop tôt. Les forces se résistent mutuellement : quand le drame commence à prendre le pas, il est détendu dans la scène d’après. Ce qui fait notamment que le climax du film, la radicalité de son geste, reste toujours infiniment surprenant, irréductible aux discours, ouvert à toutes les interprétations. Qui sait, si les ciseaux n’avaient pas été là, posés sur cette étagère…? On ne se sait pas. Mais on sent. On sent que quelque chose s’est passé.

L’interprétation la plus courante de cette fin est que le plaisir ressenti était soudain trop fort, qu’il fallait le détruire, instantanément. Mais que dire de cette main sur l’épaule du client pour le repousser ? Est-ce bien du plaisir ? Nous arrivons de plein pied dans la scène, que se passe t-il avant ? Qu’est-ce que cet homme, dont nous ne voyons pas le visage, lui fait ? Et le long plan final, quelle énergie porte t-il ? Il est impossible de savoir ce que Delphine Seyrig joue réellement, à ce moment-là. Le soulagement. L’inquiétude. L’abandon. La peur. La joie. Le vide…Ce qui est irréfutable, en revanche, c’est qu’elle fait tout très précisément. Chaque mouvement de regard. Chaque inflexion du corps. A l’image même du film : sa précision est immense, le chaos mental et sensoriel dans lequel il nous plonge est total. Les gestes de Jeanne Dielman sont plus réglés et concrets qu’une montre suisse, mais l’insistance que nous avons à les regarder les rend abstraits.

Comme chez Flaubert, la figure de l'œuvre, c’est le “jusqu’à”. A trop regarder objectivement la vie, on passe de l’autre côté, c’est son envers que l’on perçoit. Le néant qui guette Jeanne Dielman est visible, à l'œil nu. Il y a un trou noir béant au milieu du salon, sous le couvercle de la soupière dans lequel elle jette l’argent. On entend ses talons claquer sur le sol, danser autour du trou, en équilibre. La première image du film, c’est celle-ci : une rotation. Milieu du premier jour, Jeanne Dielman vient de poser les pommes de terre sur le feu, elle tourne les talons, on taille dans le mouvement, on commence là. Déjà, quelque chose de la droiture est mis à l’épreuve. Déjà ça vacille. Déjà il faut se courber pour accomplir les tâches, puis se redresser pour contempler tout ce qu’elles ne viennent pas perturber. Et Jeanne Dielman est là, dans cette tension souveraine, entre son corps qui se brise et qui se reconstitue. On ne voudrait pas qu’il se brise pour de bon. On ne voudrait pas qu’elle tombe. On voudrait lui dire qu’elle a oublié de refermer le couvercle de la soupière. On est content qu’elle y pense. On est de son côté. De son combat. De sa lutte. Comme auprès des gens qui nous sont toujours mystérieux, et qu’on aime comme ça.

On aime une personne parce qu’on a le sentiment qu’elle nous résiste toujours, on aime une personne car on se plaît à entrevoir l’immensité de son monde intérieur, auquel toujours l’accès nous sera refusé. Mais on aime aussi une personne car son contact quotidien, inscrit dans le temps qui s’écoule, fait un trou dans son opacité, nous laisse imaginer que nous la comprenons chaque jour un peu mieux. Car il est infiniment plaisant de sentir comme deux mondes se frottent l’un contre l’autre, le sien et le nôtre, les éboulis faisant jaillir des passerelles secrètes qui toujours se brisent lorsqu’on croit enfin arriver sur la rive d’en face. L’autre est toujours un secret.

Oui, le film s’inscrit totalement dans une guerre de représentation, remportée à plates coutures. Oui, Akerman est la première à avoir décrété que ces femmes-là avaient le droit d’être représentées au cinéma, de porter un combat, la splendeur d’un destin, unique et particulier. Mais il me semble que le temps qu’elle nous laisse passer avec Jeanne Dielman, la puissance de cinéma qui traverse le film, grandit non seulement chaque objet ou geste accompli à l’écran, mais également ce que nous ressentons à les regarder. L'intérêt se transforme en attention, l’attention se transforme en pensée, la pensée se transforme en tendresse, la tendresse se transforme en amitié, l’amitié se transforme en amour. Moi, j’ai 16 ou 24 ans, je suis un garçon, j’habite à Paris. Jeanne Dielman a 40, 45 ans, elle est une femme, elle habite à Bruxelles, elle est une ancienne déportée, elle se prostitue, elle règle le moindre détail de son quotidien. Je ne peux pas vraiment dire que je m’identifie à elle. Mais peut-être puis-je dire que je l’aime. Peut-être que le film, contre toute attente, me laisse aller jusque là.

Bien entendu, la vie de Jeanne Dielman semble, elle, sans amour. Elle a plutôt été une sorte d’arrangement constant avec la douleur de l’existence en général et la place qu’elle fut forcée d’occuper en tant que femme dans les structures sociales en particulier. À son fils qui lui avoue penser qu’il n’est pas possible de coucher sans aimer, elle répond “oh, tu sais, ces choses-là n’ont pas grande importance”, d’une voix traînante, qui ne fait aucun doute. À la tante pleine d’amour laissée au Canada on ne sait pas quoi répondre. À la voisine qui raconte sa vie on ne veut rien entendre. À son bébé qui pleure sur le canapé du salon, on le secoue pour que ses cris remplissent le trou laissé dans l’espace. Au fils, toujours lui, qu’on embrasse bien fort sur les deux joues avant son départ à l’école, par commodité, il importe surtout qu’il ait de quoi se nourrir le midi. Et puisque la pension de veuvage de ce mariage sans amour ne suffit pas, il faut recevoir des hommes, mettre l’argent dans la soupière, le redistribuer au fils, au quincailler, au boucher, à la vendeuse de pommes de terre. Par Jeanne Dielman, l’argent froidement transite, fait tenir ce monde au bord du grand précipice qu’aucune conscience ne semble jamais venir troubler. Il n’y a que des rapports économiques dans ce film. Des rapports de pouvoir institués, de petites vengeances sociales. Mais l’attention à tout cela est de notre côté.

Quand tout semble figé, c’est à nous de sentir chaque secousse comme un tremblement de terre. La brosse qui s’échappe des mains qui nous fige. Le café pas bon qui questionne : c’était la faute du lait, ou la faute du café ? C’est toujours la même chose, c’est jamais la même chose. L’occasion de dire quelle grande cinéaste sociale est ici Akerman : c’est à partir de la structure que tout est mieux visible. Et cette émotion rare découlant de l’attention qu’elle provoque chez nous, que j’appelle amour, peut-être en me trompant, mais quelle force elle a, lorsqu’elle prend, au choix, la forme d’une fourchette, d’une tasse, d’une assiette, d’une bouilloire.

Je ne m'explique pas pourquoi, lorsque Jeanne Dielman s’absente quelques secondes du plan alors qu’elle met en place de quoi préparer des escalopes panées, mon cœur ait été soulevé par la vue de la cuisine délaissée par elle. Qu’il m’ait semblé que ce tas de farine fragile au bord de la table, ces deux assiettes posées à côté, leur agencement sur le plan de travail, étaient d’une beauté sans égal. Que soudain ce tas de farine n’était plus la société, les futures escalopes panées, le repas à préparer, le fils à nourrir ; mais le monde, le mystère des choses qui résiste à tout. Et qu’à mon regard était offert la possibilité de le voir, quelques fractions de secondes. Avant que la machine de mort sociale ne se remette en marche, que Jeanne Dielman déboule à nouveau dans le plan, indifférente à la belle matérialité de ce tas de farine, s’occupant tout de suite à le pétrir de ses mains pour accoucher du repas. Faire, faire, faire. Mais ne rien faire pour soi, tout pour les autres, parce que c’est pour ça qu’on est là : tandis que chaque midi le fils profite de l'argent amassé par sa mère pour s'acheter confortablement un repas à côté de son école, Jeanne Dielman mange à toute vitesse un tout petit sandwich dont elle replie aussitôt le papier d'alu qui le recouvrait, pour ne rien gâcher. Toujours la société gagne. Toujours elle est plus forte que la gratuité de la beauté. Toujours elle referme son piège sur le mystère des choses. Mais toujours, pourtant, il y a un tas de farine blanche sur la table. Toujours le mystère lutte. En nous et au dehors.

Que regardes-tu, Jeanne Dielman, lorsque tu manges ton petit sandwich, ou quand tu t'assoies sur le fauteuil du salon au milieu du troisième jour, épuisée de ne plus savoir quoi faire, et que tes yeux croisent un instant l’horizon bouché ? Oh, ce regard ne dure pas longtemps. A peine une seconde. Mais il me saisit. Le film, dans son silence, son recueillement, sa nudité, m’invite à le voir. À me confronter à ton opacité. À te poser cette question, toi qui ne répondras pas. Toi qui ne sais pas que je suis là, depuis des heures, à te regarder. Vers quels autres mondes ton regard se prête ?

Je repense à La Maman et la Putain, à ces questions qu’on pose inlassablement dans sa tête à Alexandre, Marie et Veronika durant le visionnage. À la fin du film d’Eustache, je pensais à nos contradictions. À la façon que nous avons de construire une vie entière sur le contraire de ce qu’on pense. Aux mensonges qui nous permettent d’aimer sans se brûler, d’occuper une place dans le monde sans montrer sa peur de pousser un pied dehors. Et la durée monumentale, le temps laissé aux séquences de se déplier, rendaient possible cette proximité, parce qu’elle poussait les personnages au bout de leur ruse. Dans le soir, un homme bien trop sûr de lui confiait soudain : “J’ai peur…j’ai peur…je ne voudrais pas mourir”, tandis que sa voix se perdait dans mille et un crépitements. Jeanne Dielman, dans un tout autre style, fait finalement pareil : au bout du vide et du silence qu’on orchestre pour se protéger, il y a un autre vide et un autre silence, mais de celui là on a peur, parce que c’est bien le nôtre. On voudrait se débarrasser de ce qui est à soi, se laisser porter par ce que l'état des choses a décidé pour nous. J’ai 16 ou 24 ans, mais cela je peux le comprendre. Je peux l’aimer de l’endroit où je suis, de ma peur à moi, de la falaise où je me tiens à côté du vide. Il n’y a pas besoin qu’Akerman cherche à lui donner forme abstraite. Il n’y a pas besoin de contrechamps sur ce que Jeanne Dielman regarde. Voilà l’exigence morale de ce cinéma, son extrême souci des spectateurs : la caméra n’ira que là où elle peut physiquement se poser, dans l’espace encombré par Jeanne Dielman. Elle ne se substituera jamais à son regard.

Dans la scène du fauteuil, il y a un plan, plutôt rapproché, frontal à Jeanne Dielman assise. Puis, plus tard, après quelques moments d’agitation dans l’appartement, retour du personnage sur ce même fauteuil, à la même place, même abandon, même non-action. Cette fois, c’est un plan plus large, plus haut dans la pièce, latéral au fauteuil. Frontal, latéral. L’irruption de ce large-latéral, ici aussi, m’a serré le cœur. Sorti du frontal, on remarque ce qui n’a pas bougé, semble ne jamais pouvoir bouger : l’imperturbable agencement des objets dans la pièce. Sorti du frontal, l’horizon, c’est toujours le mur, qu’Akerman ne filmera pas pour lui tout seul, préservant ce que Jeanne Dielman semble y voir. Les bords du cadre sont balisés, condamnés, jamais l’horizon. La collure dessine le lieu de mon regard, trace une ligne qui sépare l’espace physique, que je peux observer, et l’espace mental, qui m’est refusé. Akerman ne filme que la situation : une femme assise dans le salon, qui ne dit rien. Le reste, c’est à nous de le prolonger, de l’inventer.

Moi, je pensais à ma grand-mère italienne, assise sur son fauteuil, sur le balcon de l’appartement, après avoir passé toute la matinée à préparer des escalopes panées que ma sœur et moi venions d’engloutir d’un trait. Je pensais au poème de Desnos : “Si tu savais comme le monde m’est soumis / Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière / Ô toi, loin de moi, à qui je suis soumis”. Au fait qu’Akerman a fait un film qui portait ce titre : La Captive. Que celui qui regarde est toujours captif. Que le piège se referme à cet instant sur nous. Que parce que nous la regardons avec cette intensité là, Jeanne Dielman est un peu plus libre que ce qu’elle est vraiment, parce que tout d’un coup son mystère lui est rendu, et nous un peu plus prisonniers encore de la fascination qui nous prend. Je me souviens que je pouvais regarder ma grand-mère pendant des heures sur son fauteuil, à me demander à quoi elle pensait, quelle partie secrète de sa longue vie défilait devant ses yeux. Je repense à combien elle m’était mystérieuse et, donc, à combien je l’aimais, à cet instant.

Le mystère irréductible d’un individu. Qu’au plus profond des mailles de l’aliénation, rien n'aliène jamais. Ce mystère qui fera toujours jaillir le cri sourd, le gémissement de plaisir ou de terreur, le coup de ciseaux sur le torse. Là où la force de vie se bat toujours, s’exprime tout compte fait, à travers le miroir déformant, donc forme finalement toujours plus monstrueuse, de ce que les structures sociales font de l’existence des femmes. Il y a peu de films qui ont le courage d’aller jusque là. Peu de films de nous offrir d'assister ainsi au supplice de la vie d’une autre, et de croire avec cette force là que l’amour que nous serons invités à lui porter soulèvera tout, en premier lieu notre propre vie. Il faut courir voir ou revoir Jeanne Dielman, ne pas en avoir peur : à la fin, l’amour nous attend.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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